Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/871

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et demi, la couche de béton restant la même, et les quatre grils de rails ne donnant que cinquante centimètres d’épaisseur. Le sabot formant le pied du pilier s’élevait à soixante centimètres. On estime que des fondations de cette espèce pourraient porter jusqu’à trente-huit à quarante étages donnant ensemble une hauteur de cent quarante mètres au-dessus du sol. La pression ne dépasserait pas six kilogrammes par centimètre carré[1].

Ce système ingénieux et qui semble d’une solidité à toute épreuve a été d’abord mis en pratique dans la construction d’un des plus grands édifices du genre, le Masonic Temple de Chicago, et il a fait fortune ; mais il est clair que le système de fondation doit varier suivant la nature des terrains sur lesquels on agit. Sur les sables mouvans, sur les alluvions, on a parfois creusé des puits, battu des pilotis, et sur ces pilotis posé des grils. Il est remarquable que dans aucune occasion on n’a chargé les surfaces portantes d’un poids égal à celui qui est généralement admis dans les constructions courantes et surtout dans les constructions anciennes, alors que les architectes, peu surs de leurs calculs, exagéraient la prudence au point de décupler la force de résistance des fondemens pour éviter les tassemens. Dans les plus belles constructions de New-York et de Chicago, le système de rails recroisés est maintenant généralement adopté, et il n’a jusqu’ici causé aucune surprise désagréable. On s’en étonnerait peut-être si nous n’ajoutions qu’il n’est pas de mode de construction dont la légèreté relative puisse lui être comparée. Cela ne tient pas seulement à l’emploi de l’ossature en acier. La nécessité de ménager le terrain a conduit les architectes à se servir presque exclusivement de poteries pour les remplissages et même pour les murs de soutènement. Les poteries et surtout les poteries creuses sont beaucoup moins pesantes que la pierre, et comme on ne leur demande plus guère qu’un rôle accessoire, elles peuvent le remplir sans inconvénient.

Est-ce à dire que le plus haut degré de légèreté soit atteint ? Ce serait douter de l’ingéniosité sans limite de l’esprit américain. Déjà il est permis d’entrevoir une évolution nouvelle dans l’architecture des maisons hautes. On commence à bâtir des édifices sans murailles, sans pierre et sans poteries ; elles sont remplacées par des parois doubles en fer ou plutôt en acier. C’est en acier qu’est construit le Women Temple à Chicago ; c’est en acier que sera tout entière construite la tour du journal le Sun. Les deux parois en plaques d’acier seront emboîtées et boulonnées à la distance commandée par l’épaisseur des piliers de soutènement et des sommiers qu’ils

  1. Le lecteur qui voudrait s’initier à la partie technique de ces divers genres de construction, on trouvera les principaux élémens dans la Semaine des Constructeurs.