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romaine ou vénitienne qui embrasse tout un grand Ilôt, un palais Farnèse qui n’a pas moins de deux cents mètres d’alignement, une colonnade qui s’arrondit autour d’un square ou d’un parc. Quel est le riche mortel à qui est consacrée une si vaste demeure ? Quittez votre étonnement ; ce palais immense n’est en réalité qu’un groupe de maisons particulières collées les unes contre les autres. Dans cet îlot de deux cents mètres il y a vingt-cinq porches, vingt-cinq vestibules, vingt-cinq escaliers qui desservent chacun cinq ou six étages. C’est l’échelle de perroquet appliquée à l’habitation humaine. Notre « maison à tiroirs » a ses défauts ; nos vestibules sont des places publiques, nos escaliers sont des rues ; mais enfin, quand nous avons franchi notre porte nous ne sommes pas condamnés à une gymnastique perpétuelle pour aller nous habiller, pour aller dîner, pour aller nous coucher. Il paraît bien que les Anglais, si jaloux de leur home, trouvent à notre système quelques agrémens puisqu’ils commencent à se bâtir des residences où l’on peut loger cinquante familles soumises au même ascenseur et invitées, comme à l’hôtel meublé, à user de la même cuisine.


II

L’Américain des États-Unis, quoiqu’il soit en majeure partie d’origine anglaise, ne professe pas comme l’Anglais le fanatisme de son intérieur. Il vit volontiers au dehors, passant d’un lieu dans un autre sans se fixer définitivement nulle part. Tel est du moins l’Américain des grandes agglomérations urbaines. La raison en est aisée à dégager. Primitivement composée d’exilés, forcés ou volontaires, la population des États-Unis n’a pas pris souvent le loisir de s’asseoir ; elle a longtemps marché, elle marche encore, et l’immigration qui l’a formée n’a pas cessé de lui apporter les inquiets du vieux monde. Même quand le poids de ses affaires l’attache pour un long temps dans un lieu fixe, il en sort assez souvent pour étendre ses occupations ou pour s’en créer de nouvelles. L’Américain du nord est l’homme actif par excellence. La tradition, l’hérédité, son culte pour l’argent, le portent à aller, venir, à remuer sans cesse. Il s’arrête, il ne demeure pas. Où on l’a vu la veille, on ne le retrouvera plus le lendemain. S’il s’y trouve, c’est qu’il est revenu. Aussi vit-il souvent à l’hôtel. S’il se donne un logis stable, c’est qu’il ne peut pas faire autrement. Par là s’explique l’importance qu’ont prise dans les États de l’Union américaine ces grands hôtels où s’attardent de nombreuses familles pendant que leurs chefs courent aux spéculations sur le pétrole en Pensylvanie, sur le coton en Louisiane, sur les métaux précieux en Californie