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comprendre pourquoi, dans les autres parties de la grande ville, on bâtit aujourd’hui des maisons colossales. L’Anglais aurait-il abandonné ses antiques préférences pour la petite maison où la famille habite seule ? Se serait-il incliné à nos goûts parisiens pour le logis commun sous le même toit, pour la maison-caserne, pour ce qu’il appelle, non sans moquerie, nos « maisons à tiroirs » ? La « maison à tiroirs » a du bon. N’être point contraint à monter et descendre cinquante fois par jour un escalier qui n’est pas toujours facile, trouver sous la même clé, de plain-pied, la salle à manger, le salon et la chambre à coucher, et dans le tout une température égale, ce n’est pas un petit élément de bien-être ; et l’on sait que, de nos jours, le bien-être joue un rôle important dans la comédie humaine.

L’Anglais, qui vient bien plus chez nous que nous n’allons chez lui, a pu apprécier les mérites de nos appartemens distribués avec un art infini dans nos grandes maisons neuves ; il s’en est fort bien accommodé et a trouvé bon d’en transporter les avantages dans son domaine insulaire. Il a voulu être logé plus agréablement qu’il ne l’était dans ses petites maisons, et le voilà qui construit des édifices privés qui ont jusqu’à dix étages, des « maisons à tiroirs » comme les nôtres, mais hautes comme celles de New-York, de Boston, de Chicago. D’un premier coup d’aile, il nous dépasse de cinquante coudées. Ce sont d’abord des hôtels pour voyageurs ; mais bientôt l’idée américaine vient le talonner ; les clubs veulent avoir des tours et près d’Albert-Gate s’élève le Residential Hotel, une maison à loyer comme les nôtres, mais qui possède onze étages en y comprenant le rez-de-chaussée, et treize avec les deux sous-sols.

Cette maison, dont l’aspect ne manque pas de caractère, est bâtie en briques, pierre et granit d’Ecosse. Une porte monumentale donne accès au rez-de-chaussée ; une porte latérale s’ouvre sur le grand vestibule de la maison. La façade sur la rue présente à chaque étage et jusqu’aux pignons du sommet des balcons saillans et fermés qui rappellent les vieilles maisons anglaises du temps de la reine Anne. Le style Queen Anne est maintenant à la mode dans toute la Grande-Bretagne ; il s’est substitué au style Elisabethan sous l’influence de la jeune école d’architecture dont le coryphée est M. Norman Shaw, artiste fécond, d’un talent très original, quoiqu’il puise ses inspirations aux sources du passé. L’influence de cette nouvelle école se fait sentir jusque sur les esprits qui sembleraient lui être le plus réfractaires. Nous en avons un exemple dans ce vaste édifice appelé impérial Institute, que vient d’achever M. T. E. Colcutt pour y