Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/858

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présentaient de nombreux étages superposés, et ces étages devaient être construits en pans de bois sur des fondations de pierre.

Sans doute ces maisons, si hautes qu’elles aient pu être, nous paraîtraient aujourd’hui bien basses et bien mesquines si nous les comparions aux édifices que les grandes villes des États-Unis voient tous les jours surgir sous la pression de nécessités analogues. Ce n’est pourtant pas l’espace qui leur manque ; mais dans les villes, même les plus nouvelles, le besoin de concentrer les affaires dans les quartiers où elles ont établi leurs habitudes, le prix fabuleux que les terrains y ont acquis, la très petite étendue des lots primitivement livrés aux constructions, ont eu pour effet obligé de faire croître en hauteur ce qui ne pouvait s’agrandir en surface. De là est née cette architecture singulière et pour nous extravagante dont on commence à prendre une idée par les visiteurs de l’exposition de Chicago et aussi par quelques publications spéciales que nous avons sous les yeux.

Ce n’est pas que, dans notre vieux monde, les habitations élevées soient très rares. Nous possédons dans Paris des maisons de six et sept étages, mais comme nous conservons jusqu’à présent un certain respect de l’harmonie et des proportions, nous nous appliquons, souvent avec succès, à atténuer par des saillies successives, par des profils élégans, des jeux d’ombre et de lumière, et enfin par des détails d’ornementation ce défaut d’équilibre entre les ligues que les architectes américains multiplient avec une conscience tranquille. On accuse volontiers nos architectes d’aimer trop la symétrie et la pondération des formes ; ce penchant les met en garde contre l’excès contraire. Nos matériaux d’ailleurs leur prêtent un précieux concours et les règlemens de voirie leur interdiraient d’élever la tête au-dessus de leurs voisins. S’il en résulte une certaine monotonie, elle ne blesse du moins ni le goût ni l’esprit.

Les Anglais n’imitent pas en tout point notre réserve ; ils commencent à se laisser entraîner par le mouvement américain. Londres, qui se plaisait naguère à s’étendre vers les champs, cherche depuis quelque temps à s’élever dans les airs. Le siège des affaires, la Cité, a donné l’exemple en substituant peu à peu aux vieilles bâtisses, sans hauteur et sans caractère, des maisons de quatre et cinq étages où l’artiste s’est montré le maître du maçon. L’exiguïté des terrains et l’effort pour réunir sur un même point le plus grand nombre possible de bureaux et d’offices expliquent suffisamment l’évolution qui s’est faite dans les goûts et les habitudes. La Cité n’est pas un quartier où l’on habite ; on ne fait guère qu’y passer pendant le jour. Il est plus malaisé de