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bien à quel moment il pourrait tirer utilement du fourreau cette arme trop lourde pour son bras. Est-ce dans la première partie de sa présidence, et tant qu’il n’a encore affaire qu’à la Chambre où prévaut le parti qui l’a élu ? Mais à quel propos la dissoudre, puisque, étant son œuvre, il ne peut manquer de s’entendre avec elle ? Est-ce quand une élection nouvelle l’aura mis en présence d’une autre assemblée animée d’un esprit différent ? Mais à quoi bon faire alors appel au pays, puisqu’il vient de parler, et pourquoi l’interroger de nouveau, quand il a répondu par avance ?

C’est ainsi que toutes les précautions prises pour assurer au Président élu l’indépendance de son action, loin d’avoir obtenu le succès qu’on s’en promettait, tournent l’une après l’autre contre leur but. En le faisant irresponsable, on voulait le préserver, on l’annule. En prolongeant son pouvoir, on voulait que son existence légale survécût à celle de ses électeurs, et on l’a tout simplement exposé à rester en butte à l’hostilité dédaigneuse de leurs successeurs. C’est qu’on ne transporte pointa volonté des dispositions d’origine monarchique dans une loi républicaine. C’est qu’il y a une logique secrète qui a présidé au développement des institutions, qui en rend toutes les parties unies et solidaires, à ce point qu’on n’en peut ni détacher, ni en changer une arbitrairement. Un ressort ne joue sans causer de désordre que dans la machine préparée pour le recevoir. En fin de compte, irresponsabilité et élection sont deux idées qui s’excluent réciproquement : car il ne doit y avoir de raison pour élire un homme que la confiance qu’on place dans ses opinions, son caractère ou ses talens : et c’est alors un vrai contresens légal que de lui imposer, une fois nommé, l’interdiction de manifester une idée, une volonté, une faculté quelconque. Puis à quoi bon l’irresponsabilité du chef de l’Etat, si elle n’a pas pour effet de le soustraire à la polémique de partis ? Et quelle contradiction alors que de l’y soumettre obligatoirement par le retour périodique d’une élection ? Soyons de bonne foi : l’inviolabilité royale n’est prise au sérieux que parce qu’elle s’applique à une personne placée dans une condition qu’aucune autre n’égale et dont personne n’a le droit de la dépouiller ; mais une inviolabilité intermittente qui commence aujourd’hui et doit Unir demain, qui s’adresse tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, a quelque chose qui fait sourire.

Tout, en un mot, dans la loi de 1875, porte la trace d’un assemblage d’élémens irréconciliables faits par un concert accidentel avec une précipitation irréfléchie. On dirait un de ces êtres imaginaires que la fable antique se plaisait à composer en associant