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impétueux, il n’eût mis à forte épreuve la solidité des ressorts de la loi de 1875.

Quoi qu’il en soit, on ne peut en pleine certitude parler que pour soi-même. J’ai été une fois, faute d’un meilleur, porté par une majorité parlementaire à la tête d’un cabinet, dans une situation politique qui amenait de vives discussions : si on m’eût proposé alors de ne pas venir les soutenir moi-même, pour recevoir les coups et essayer de les détourner, et pendant que d’autres auraient porté le poids du joug à ma place, d’aller inaugurer la statue de quelque célébrité oubliée, ou ouvrir une exposition d’horticulture, — puis de recevoir un gros traitement et des grands cordons d’ordres étrangers pour ce genre de service, je n’aurais pas cru faire acte de fausse modestie en le refusant.

Je dois convenir que mes meilleurs amis ne m’ont jamais exposé à cette tentation, et n’ont jamais eu la pensée de me proposer rien de pareil : je n’ai pas été médiocrement surpris en lisant un jour dans les correspondances de l’ambassadeur d’Allemagne, M. d’Arnim (publiées dans son procès par M. de Bismarck) qu’il m’avait soupçonné d’y prétendre. Entre autres excellentes raisons que j’aurais eues de ne jamais y songer, il y avait celle-ci : j’avais le bonheur de tenir mon office ministériel d’un Président tout à fait exceptionnel, auquel nul ne pouvait songer à se comparer. Bien qu’élu par une Assemblée, celui-là ne tenait de ce choix que la moindre partie de sa considération : la meilleure avait été conquise sur le champ de bataille. Mais on ne rencontre pas tous les jours des présidens qui aient pris Malakof et gagné la bataille de Magenta : et si on en pouvait trouver, je doute qu’une Assemblée vraiment républicaine eût goût à les mettre à la tête de l’Etat.

On nous dit aujourd’hui que nous allons voir, que nous voyons même déjà, dans l’Assemblée qui vient de s’ouvrir, à la place de la fâcheuse confusion que la politique de concentration républicaine rendait nécessaire, deux grands partis nettement définis, l’un et l’autre républicains : l’un défendant les intérêts conservateurs, l’autre représentant les idées de réforme et de progrès, les tories et les whigs de la république. Si ce beau idéal du régime parlementaire est en effet réalisé, j’engage fort le chef quel qu’il soit du parti conservateur (pour qui je fais d’avance les vœux les plus sincères) à ne pas se porter candidat à la prochaine élection présidentielle. Il doit avoir trop à faire, à se défendre contre les agressions des radicaux dépossédés et l’audace croissante du socialisme pour quitter la place où il peut regarder ses ennemis en face et leur tenir tête. Qu’il reste au poste de combat et de commandement, et même, comme