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l’a souvent distingué, toutes les fois que des deux qualités du tempérament méridional dont il était doué, la finesse et la fougue, ce n’était pas la seconde qui l’emportait sur la première. Seulement son embarras explique pourquoi les républicains ne se soucièrent pas de donner au débat de la loi tout entière plus d’étendue et d’ampleur[1].

Si cet exposé des faits est véritable (et il faudrait avoir bien peu de mémoire pour le contester), il n’y a plus lieu d’être surpris de rencontrer dans une constitution républicaine des dispositions étrangères, sinon contraires, à l’esprit de la république. Tout devient simple du moment où le document entier a été rédigé de concert avec des royalistes s’avouant tels, décidés à le rester, et à qui la nécessité de l’appoint apporté par leur concours assurait une part d’action prépondérante. L’irresponsabilité du Président et le droit de dissolution qui lui est conféré, c’est là évidemment la double empreinte laissée par des mains monarchiques sur une charte républicaine.

Ceux qui ont eu ainsi l’idée (absolument originale et sans précédent) de doter un chef d’Etat élu des attributions dont, jusque-là un chef héréditaire seul avait été investi, ont-ils obéi seulement à de vieilles habitudes ? fut-ce chez eux l’effet de l’embarras que tout homme éprouve à sortir d’un ordre d’idées où il a toujours vécu pour entrer dans un autre entièrement nouveau où tout l’étonne ? ou bien pensèrent-ils d’avance à rendre par-là plus facile une substitution dont ils déclaraient ouvertement garder l’espérance ? Je l’ignore. Mais assurément ils ne pensaient pas qu’il suffirait de déclarer le Président irresponsable et de l’armer du droit de dissolution, pour l’élever à la place que tient et pour attendre de lui l’action qu’exerce le souverain dans une monarchie constitutionnelle. S’ils avaient eu cette illusion, ils seraient tombés dans une erreur dont l’expérience ne devait pas tarder à les faire apercevoir.

Aucun sujet n’a donné lieu à plus de discussions, au commencement de ce siècle, que l’examen des conséquences que doit avoir pour l’autorité d’un monarque l’inviolabilité qui lui est assurée par le régime parlementaire. Si cette garantie préserve sa personne, il semble qu’elle ait aussi pour effet de limiter et même de gêner singulièrement l’exercice de son pouvoir. Ses ministres seuls étant responsables, comme c’est un principe d’équité naturelle que la responsabilité ne peut être attachée qu’aux actes qu’on a librement accomplis, il suit qu’ils doivent avoir seuls le

  1. Assemblée nationale, séance du 3 février 1875. Journal officiel, p. 334-335.