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propre faiblesse, une irritation et une rancune dont il ne devait point se relâcher.

Même après l’insuccès de la tentative de Schill, même après Wagram, les patriotes prussiens, Blücher, Gneisenau, Bülow, Götzen, voulaient une lut le désespérée. Ils étaient convaincus, dans leurs vues un peu étroites et peu ouvertes sur l’ensemble de la situation européenne, que la défaite de l’Autriche serait le signal de la destruction de l’Etat prussien. L’événement leur apporta la preuve de leur erreur. Napoléon signa le 14 octobre la paix avec l’Autriche, et rien ne vint indiquer que les Hohenzollern dussent bientôt « cesser de régner ». L’Empereur exigea seulement que le roi de Prusse quittât ce refuge éloigné de Konigsberg où sa présence semblait une protestation permanente contre le nouvel état de choses. Il lui fut donné satisfaction en décembre 1809. La famille royale et le gouvernement se réinstallèrent à Berlin, et leur rentrée marqua comme la fin de la crise de 1809 et le commencement d’une ère nouvelle.

Le 5 novembre 1809, dans une de ces entrevues où il se plaisait, et où la force triomphante et sûre d’elle-même répudiait avec quelque brutalité les ménagemens qu’affectionne une diplomatie moins assurée de sa puissance, Napoléon avait réglé ses comptes avec la Prusse. Le général Krusemark, considéré comme un personnage agréable à la cour des Tuileries, avait été désigné pour lui apporter les vœux diplomatiques du roi de Prusse. L’Empereur tint à montrer que rien ne lui avait échappé des écarts de la Prusse. « Voilà, dit-il, des complimens que vous auriez bien voulu porter à une autre adresse. » Puis il avait fait à sa manière le résumé ironique de la politique prussienne durant la crise de 1809. Mais tout en laissant voir qu’il continuerait à la tenir par les engagemens pesans qu’elle avait contractés et qu’elle se montrait impuissante à exécuter, il avait assuré aussi qu’il ne songeait point à la supprimer.

Le 15 février suivant, Champagny donna des paroles de l’Empereur un commentaire plus inquiétant en indiquant légèrement la possibilité d’une cession de territoire. « Quel besoin, avait dit Napoléon, quel besoin la Prusse a-t-elle d’une armée de 40 000 hommes ? 6 000 hommes de garde royale, c’est tout ce qu’il faut au roi. Licenciez votre armée et vous aurez de quoi me payer. » — « Il faut payer », ajoutait Champagny, mais verbalement et comme s’il eût craint de confier au papier ses insinuations ; « il faut payer ou nous céder une portion de votre territoire[1]. »

  1. Lehmann, Scharnhorst, II, p. 311. — Sealey, Life and Times of Stein, II, p. 410.