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car Sudermann est à peu près au ban de la Scène libre ; et il finit par me dire :

— Hauptmann a plus de réalisation artistique.

Je crois bien que mon compagnon confondait l’art avec l’artifice : car c’est précisément l’artifice où M. Hauptmann me parait exceller. N’est-ce pas de l’artifice, ce soin minutieux qu’il prend des détails matériels de la mise en scène ? Et même de l’artifice qui, parfois, confine à la puérilité. C’est ainsi qu’il marquera que les membres de la famille Scholtz, dans la Fête de la paix, « doivent avoir autant que possible une ressemblance de fam²lle » ; qu’un des élèves du professeur Crampton est un Viennois ; que l’expression des yeux de la jeune Adélaïde, dans la Peau de loutre, « trahit une perversité précoce » : qu’un autre des personnages de la même pièce « dans la figure « quelque chose de méphistophélique, » et que Berger, dans Hannele Mattern, est un « capitaine de la réserve, à n’en pas douter. » On trouvera peut-être que c’est beaucoup exiger des acteurs qu’une telle précision de physionomie ; mais cela passera pour de la « réalisation artistique ». — N’est-ce pas de l’artifice aussi, cette reproduction continuelle des particularités du dialecte qu’est censé parler chaque personnage, ou de celles de la langue de la conversation, plus différente de la langue écrite en Allemagne qu’en France ? On se heurte à une abondance d’interjections, d’exclamations, de mots inutiles, qui par moment rendent le dialogue insupportable. Et quelques-unes de ces notations sont d’une flagrante inutilité : on sait, par exemple, que les Berlinois prononcent le g dur comme j. Eh bien, chaque fois que M. Hauptmann met en scène un Berlinois, il écrira jehen au lieu de gehen, comme s’il faisait une belle découverte. Artifice, artifice et prétention : défauts de coterie. Et, soit dit en passant, nous serions tenté de reprocher à M. Jean Thorel, dans ses traductions si intelligentes et si consciencieuses, de leur avoir quelquefois cherché des équivalens français.


Il y a quelque chose de plus grave, ou du moins quelque chose qui serait plus grave si M. Hauptmann n’était pas assez jeune pour avoir encore le temps de conquérir sa véritable originalité : c’est que les données de ses pièces, comme aussi les caractères de ses personnages, ne lui sont pas fournis par une simple et directe observation de la vie. Il les emprunte soit à ses lectures, soit à ses partis pris.

L’influence qu’Ibsen et Zola ont exercée sur lui a été si despotique, que son œuvre, telle qu’elle se présente à nous à présent,