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plus simple, plus intellectuel, dont l’action sur la sensibilité des spectateurs s’exerce sans qu’il soit besoin de recourir à tant de lumières de toutes les couleurs ; mais on ne peut nier l’effet produit, qui est vif et puissant.

En dehors de ses œuvres dramatiques, M. G. Hauptmann a écrit deux courtes nouvelles, le Garde-voie Thiel et l’Apôtre, dont l’intérêt consiste surtout en ceci, qu’elles nous montrent combien ses préoccupations demeurent les mêmes, combien son champ reste limité. Le Garde-voie et l’apôtre qu’elles nous décrivent ne sont plus des ivrognes, c’est vrai : ce qui leur marque une place à part dans la galerie de M. Hauptmann. Mais la folie rôde autour d’eux. L’Apôtre, — une esquisse dans les nuages, — semble une illustration littéraire d’un de ces tableaux de M. de Uhde, où le Christ et les figures de la légende divine sont représentés en costumes d’aujourd’hui. Quant à l’autre récit, c’est une pochade naturaliste, noir sur noir, qui ne diffère que par le paysage et la couleur de quelques-uns des récits les plus sombres de nos romanciers, et qui aurait fait un bon chapitre de la Bête humaine.


II

Les œuvres que nous venons de passer en revue ont été composées en l’espace de quatre ans : elles témoignent donc d’une incontestable fécondité, et l’on peut croire qu’elles ne sont point le dernier mot de leur auteur. Elles n’en constituent pas moins un ensemble qu’on peut essayer dès maintenant d’apprécier, d’autant plus que, comme on a pu le voir, elles ne sont point très diverses. Aucune d’elles ne diffère beaucoup de la première. On pense à des variations brodées sur un thème unique : le thème se modifie, se transforme, s’accélère ou se ralentit sous la pluie des arpèges qui l’enveloppent, il se perd par moment à travers de savantes harmonies, mais une oreille un peu exercée le reconnaît toujours. C’est là, peut-être, une imperfection, si l’on se fait de l’art de l’écrivain une idée un peu large, si l’on attend de lui qu’il nous rende une image des spectacles variés du monde et qu’il nous ouvre des aperçus sur l’infinie diversité des âmes. Mais il y a plusieurs manières d’être un grand écrivain, ou du moins un écrivain qui compte : on peut l’être par la richesse des idées qu’on apporte, par la quantité des personnages qu’on crée ; on peut l’être aussi par la force avec laquelle on répète un petit nombre d’idées ou ramène un petit nombre de personnages. C’est ce qu’il faut admettre en tout cas pour accorder à M. Hauptmann une place de quelque importance dans la littérature du jour ; encore,