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HOFFMANN, légèrement. — Il se retrouvera bien,… (Riant) l’instinct, j’entends.
LOTH. — Enfin, que puis-je offrir à une femme ? Je doute de plus en plus d’avoir le droit d’exiger d’une femme qu’elle s’attache à la petite partie de ma personnalité qui n’appartient pas à mon travail ; et puis, j’ai toujours redouté les responsabilités et la famille.
HOFFMANN. — Quoi ? quoi ? Les responsabilités et la famille ? N’as-tu pas une tête, des bras, hein ?
LOTH. — Comme tu vois. Mais, je te l’ai déjà dit, ma puissance de travail appartient en plus grande partie à mon but, et il en sera toujours de même : elle n’est donc plus à moi ; j’aurai à lutter contre des difficultés tout à fait particulières…
HOFFMANN. — Bast ! Quelqu’un ne sonne-t-il pas ?
LOTH. — Tu prends ce que je te dis pour des phrases oiseuses ?
HOFFMANN. — En tout honneur, cela sonne un peu creux ! On n’est pourtant pas un inutile parce qu’on est marié. Il y a des hommes qui ont toujours l’air d’avoir sur les autres le privilège des bonnes actions.
LOTH, violent. — Pas du tout ! Je n’ai pas cette idée-là !… Mais loi, si tu ne t’étais pas déjà éloigné de ton but, tu t’en éloignerais à cause de ton heureuse situation matérielle.
HOFFMANN, avec ironie. — Cela serait donc aussi une de tes exigences ?
LOTH. — Comment ! exigences ? quoi ?
HOFFMANN. — Je veux dire que tu chercherais la fortune dans le mariage ?
LOTH. — En tous cas.
HOFFMANN. — Et il y a encore, — comme je te connais, — tout un long écheveau d’autres exigences ?…
LOTH. — Sans doute. La santé morale et physique de la fiancée, par exemple, est une condition sine qua non.
HOFFMANN, riant. — Sans doute, il faudra soumettre la fiancée à un examen médical nécessaire ?
LOTH, toujours sérieux. — Mais j’ai aussi des exigences pour moi, tu le sais bien.
HOFFMANN, toujours plus gai. — Je sais, je sais !… C’est comme quand tu étudiais la littérature sur l’amour, pour établir d’une manière certaine si ce que tu éprouvais alors pour n’importe quelle dame, était vraiment de l’amour. Ainsi, dis-moi encore quelques-unes de tes exigences ?
LOTH. — Ma femme, par exemple, devrait savoir renoncer…
HOFFMANN. — Oui… Oui… ah ! j’aime encore mieux me taire… Je voulais dire seulement que la femme est en général habituée au renoncement.
LOTH. — Au nom du ciel ! Tu me comprends mal. Ce n’est pas ainsi que j’entends le renoncement. Je le demande en ce qui concerne la partie de mon être qui appartient à mon but ; je voudrais qu’elle y renonçât de bonne volonté, et joyeusement. Non, non, pour le reste,