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renaît dans la féodalité ; les seconds le principe militaire qui triomphe avec la monarchie, tandis que le principe libéral moderne sortirait en droite ligne des forêts de la Germanie. Ces paradoxes de conversation déparent un ouvrage aussi solide. Déjà, dans le chapitre II, M. Hanotaux s’était laissé séduire par ce qu’on peut appeler la fausse symétrie des idées. Il nous enseignait que la lenteur de notre histoire provient « du dualisme latent qui est dans le pays, dans la race ; » et dès lors, tout devient dualisme : « Nord et midi, continent et côte, aristocratie et démocratie, fédéralisme et unité, » et un peu plus loin « duel séculaire de l’élément romain et de l’élément germanique. » Ce sont là des réminiscences de cette philosophie flottante que nos derniers maîtres ont trop encouragée. Elle me paraît plus fâcheuse que l’ancienne doctrine, laquelle, sans doute, pouvait se tromper, mais au moins disait ses raisons. Mais quand on me parle de l’influence du sang, quand on allègue « les poitrines plus larges et les convictions plus fortes » des peuples germains, apparemment pour les opposer aux poitrines étroites et aux convictions molles des Fabius, des Paul-Émile et des Marc-Aurèle, je confesse que je n’y suis pins. « C’est un argument, disait Tocqueville, que je n’admettrai jamais qu’à la dernière extrémité et quand il ne me restera absolument rien à dire. » On se refuse à croire que le tempérament libéral consiste à parler tous à la fois autour d’une table « où saigne la viande de bœuf et où coule la bière. » Les contemporains de Périclès se passaient de ces stimulans. La liberté n’est pas un problème d’alimentation.

Je trouve encore une légère teinte de fatalisme historique dans le jugement que M. Hanotaux porte sur les velléités maritimes ou coloniales de la France. — Nous n’avons plus rien à craindre pour notre unité, dit-il, mais gare au chant des sirènes qui nous a trop souvent séduits ! — Et pourquoi ? n’est-ce pas le caractère indestructible de notre unité qui devrait nous rendre l’essor maritime ? Une nation comme la nôtre est-elle incapable de se transformer ? J’opposerai à notre auteur les paroles mêmes de son héros. « Si la France n’était puissante en vaisseaux, dit Richelieu dans son Testament politique, l’Angleterre, étant située comme elle est, pourrait entreprendre à notre préjudice ce que bon lui semblerait, sans crainte de retour… La situation du pays natal de cette puissance orgueilleuse, qui ne connaît, en cette matière, d’autre équité que la force, lui ôtant tout lieu de craindre les plus grandes puissances de la terre, l’ancienne envie qu’elle a contre ce royaume lui donnerait apparemment lieu de tout oser, lorsque notre faiblesse nous ôterait tout moyen de rien entreprendre à son préjudice. » Et ce grand homme ajoutait :