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victoires. La royauté a vécu d’année en année, de siècle en siècle, poussant le temps par l’épaule, sans rien brusquer, sans rien achever, laissant le vague planer sur ses desseins et sur ses droits. » Si les prétentions de cette royauté, symbole de l’unité française, sont fort anciennes, son triomphe a été tardif, et il a coûté très cher : il a fallu l’acheter par une foule de concessions onéreuses qui ont entravé l’œuvre bienfaisante de l’Etat. De là cet abus du privilège, que M. Hanotaux définit fort heureusement : « l’embryon d’un droit qui se constitue ou le résidu d’un droit qui s’éteint. » La monarchie n’avait pu acheter l’obéissance des hautes classes ou celle des provinces qu’en leur attribuant des immunités qui limitaient de toutes parts l’étendue de son action, sans cependant assurer le contrôle régulier du pouvoir. Cette cause de faiblesse tenait moins au vice du pouvoir lui-même, qu’à l’étroitesse et à l’opiniâtreté des résistances qu’il avait dû vaincre. « De là la grandeur des ambitions et la médiocrité des moyens… contraste qui durera jusqu’à la fin de l’ancien régime ; de là cette dramatique histoire financière qui doit se terminer par une catastrophe… » Donc toutes les inégalités de l’ancienne France ne sont que des transactions diverses qui ont mis fin à des conflits séculaires. Les unes sont bonnes, les autres mauvaises, presque toutes étaient utiles à l’heure où elles ont été consenties. Il est trop facile de les critiquer en négligeant le passé qui les explique, comme le fait l’école révolutionnaire. Mais il n’est peut-être pas beaucoup plus sage de gémir sur la perte de ces fameuses libertés locales qui n’étaient que les dernières forteresses d’un égoïsme de clocher. « Ainsi se prépare, dit M. Hanotaux, cette puissante centralisation qui est la forme de la société française dans les siècles modernes. Qu’on l’approuve ou qu’on la blâme, elle est le résultat de douze siècles d’efforts, et elle a elle-même pour résultat la France… Est-il dans l’histoire un spectacle plus grand que celui de ces millions d’habitans d’une même terre, s’imposant, pendant des siècles, une discipline unique pour créer une force supérieure faite du concours et du sacrifice de toutes les volontés ? D’ailleurs pourquoi des reproches, pourquoi des regrets ? L’histoire suit sa pente. Il vaut mieux essayer de la comprendre que de se livrer au vain amusement de la refaire après coup. Cette idée de l’unité par le moyen d’un pouvoir fort, ce peuple l’a dans les veines… »

J’aurais aimé que M. Hanotaux s’en tînt à cette conclusion. Je goûte moins, je l’avoue, les pages dans lesquelles il essaye de ramener toutes nos vicissitudes politiques au mélange des trois races dont le sang coule dans nos veines : Gaulois, Romains, Germains. Les premiers représenteraient le principe fédératif qui