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couverte de forêts encore épaisses, hérissée de clochers, de créneaux et de moulins. La vie était plus haut perchée qu’aujourd’hui. » Il y a partout de ces touches vives, de ces raccourcis heureux. Nous voyons défiler devant nos yeux le mystère des grandes forêts où, l’hiver, on entend la hache des bûcherons, et dont la cime ondulée se couronne de fumée ; les villes, « déchiquetant le ciel de leurs édifices pointus » ; dans les paroisses, « le cimetière ombreux et moussu, les maisons basses, les longs toits de chaume où pendent les gouttes de pluie… les commères en cotte et jupe de futaine, la tête couverte d’une coiffe à la Catherine de Médicis… » ; les chemins défoncés, sillonnés de chevaux, de chaises et de brancards, tandis que les postes du roi galopent sur les routes pavées ; toute la vie nomade des grandes routes, cavaliers, dames, prélats, comédiens, ouvriers, colporteurs, étudians, bohémiens. Puis ce sont les provinces, chacune avec son caractère propre. Quand on a fait le tour complet du royaume, on se dit que cette glorieuse France du XVIIe siècle était bien misérable, bien épuisée par les guerres civiles, bien mal percée et mal tenue, et que nous avons pourtant marché depuis lors. M. Hanotaux achève cette esquisse rapide par un tableau de Paris d’un relief extraordinaire, tout plein d’une vie fourmillante qui a le mérite d’être vraie : chaque coup de pinceau est appuyé d’une citation ; et ce n’est pas un mince mérite, que d’avoir posé une peinture si fraîche et si légère sur un premier enduit d’érudition solide. Ainsi rassurés sur la véracité du peintre, nous nous enfonçons avec délice dans ces ruelles étroites, parmi les maisons ventrues, au milieu « des cris, des appels, des disputes et des rixes », le long de la Seine, où circule une batellerie pittoresque, dans les faubourgs silencieux, qui entourent la grande ville « d’une ceinture de béatitude, de mendicité et de prière. » Nous considérons avec curiosité tant de groupes vivans : débardeurs et crocheteurs au seuil des échoppes, marchands au costume étoffé, graves magistrats gardant les anciennes modes, soudards « tout chauds des grandes guerres, » seigneurs musqués brillans d’or et d’argent : c’est aussi précis qu’une gravure de Callot, avec la couleur en plus, et aussi le commentaire. Cette flânerie à travers l’histoire est souvent la meilleure manière de l’apprendre. Toutes les plaintes du Parlement nous instruisent peut-être moins sur la frivolité, le décousu, mais aussi sur l’allure martiale et fière du gouverneur d’alors, que ce tableau du Louvre et ce remue-ménage d’une cour toujours prête à suivre le roi, « pour un rien, comme lui à cheval, » de telle sorte que « le pouvoir sentait l’écurie et non pas le bureau. »

Nous voilà bien préparés. Lancés en plein mouvement,