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M. Hanotaux ne s’est risqué qu’à bon escient. Il a commencé par fouiller son Richelieu de manière à désarmer la critique la plus exigeante. Cependant, c’est tout juste si on lui pardonne ses vues générales. On discute longuement la partie biographique ; mais, sur ce grand effort de reconstruction de l’ancienne France, on n’insiste guère. La Revue historique fronce légèrement le sourcil, devant ce bon élève qui se permet des développemens en dehors de la matière. C’est bien pour cette fois, mais n’y revenez plus ! « En donnant pour perspective à son héros toute l’histoire de France, l’auteur s’est dit qu’il flattait le goût du public français pour les résumés et les tableaux historiques. » D’ailleurs cet exposé « confirme généralement les idées reçues, ce qui est la meilleure garantie de son exactitude[1]. » Chacun sait en effet qu’on ne saurait avoir la prétention d’émettre des vues originales, à moins de travailler sur des documens de première main. Donc, c’est le document, non l’historien qui a le droit d’être original. L’histoire devient ainsi comme une immense entreprise de reportage, et le jugement du narrateur a tout au plus la valeur d’une revue de fin d’année dans un journal.

J’estime, quant à moi, qu’en histoire comme ailleurs la première originalité est encore celle de la pensée, laquelle doit être la plus haute expression du bon sens ; que, si la vérité veut être recherchée pour elle-même, les collectionneurs de petits papiers se trompent comme les autres et plus que les autres ; que tous les érudits de grande race ont eu des idées, à commencer par les Ranke et les Mommsen, ces illustres Allemands qui ont fait aussi des tableaux historiques ; — que, de plus, une vue d’ensemble, un tableau juste et vivant diffère d’une idée abstraite autant qu’un paysage ou une bataille diffère d’un dessin géométrique, et que les bons tableaux de cette espèce sont fort rares, en France et ailleurs. Il faut donc savoir gré à M. Hanotaux d’avoir prouvé par son exemple qu’en France comme ailleurs, on peut allier un savoir solide à des vues générales et le détail pittoresque à l’intelligence de l’ensemble.

Mais je lui suis particulièrement reconnaissant de nous donner une image vraie de notre pays, et je tâcherai d’expliquer en quoi cette image se distingue de celles qui l’ont précédée.


I

Si notre littérature historique abonde en réflexions profondes et en morceaux bien venus, ce qu’on y trouve le moins, c’est

  1. M. G. Fagniez, Revue historique, septembre-décembre 1893.