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LE RÈGNE DE L'ARGENT

II.[1]
LE MAMMONISME ET LA DÉMOCRATIE

Autre cause du règne de l’argent, la démocratie. La démocratie fraye, malgré elle, les voies à l’usurpation de l’argent. Un des caractères de nos sociétés démocratiques, c’est la prédominance des intérêts matériels, autrement dit des intérêts tout court, c’est-à-dire de l’argent. Cela, en France, a été la marque de tous nos gouvernemens depuis 1830 ; et plus s’est accéléré le courant démocratique, plus ce trait s’est accentué. Presque partout, l’établissement de la démocratie aboutit, — au moins pour un temps, — à la royauté de l’argent. Rien là de sémite ; c’est l’évolution naturelle de l’histoire. Plus de hiérarchie dans les sociétés nivelées ; plus guère d’autres rapports entre les hommes que les relations établies par l’argent entre ceux qui payent et ceux qui sont payés.

On pourrait presque dire que l’argent est, de droit naturel, le souverain légitime des démocraties. Sur les ruines de la royauté, de la noblesse, de l’Eglise, se fonde la suprématie de la richesse. Du milieu des décombres accumulés autour d’elle, elle édifie son pouvoir sur la table rase des révolutions. Elle demeure l’unique supériorité reconnue de tous. A d’autres époques,

  1. Voyez la Revue du 15 mars.