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gligeant de le faire, on a commis une faute trop apparente aujourd’hui pour qu’elle soit renouvelée.

En même temps qu’il a été interrogé, à la Chambre des lords, sur sa politique égyptienne, lord Rosebery l’a été sur la politique de la France au Siam. Il a déclaré, et sa déclaration mérite d’être retenue, que les zones d’influence respectives de la France et de l’Angleterre étaient naturellement limitées par le cours du Mékong. S’il en est ainsi, bien des difficultés de détail ne tarderont pas à être aplanies, notamment dans la partie septentrionale du grand fleuve. On lui a demandé on outre quand nous évacuerions Chantaboun, et, tout juste après avoir annoncé l’intention de rester en Égypte un temps indéterminé, il s’est montré convaincu que nous tiendrions avec un empressement exemplaire nos engagemens en ce qui concerne le Siam. Cette confiance nous touche beaucoup et nous tâcherons de la justifier. Mais lord Rosebery a-t-il reproduit d’une manière complète, dans ses déclarations à la Chambre des lords, les termes de notre convention avec le gouvernement de Bangkok ? Il a affirmé que cette convention était à peu près exécutée du côté siamois. « Il ne reste plus qu’un point à étudier, a-t-il dit, c’est le procès de l’assassinat présumé d’un officier français : le gouvernement ne doute pas qu’aussitôt ce procès terminé la France évacuera Chantaboun. » Ce procès n’est pas encore terminé, loin de là ! Nous sommes en présence d’un véritable déni de justice de la part des autorités siamoises. Heureusement, notre convention avait prévu le cas, et elle porte : « Le gouvernement français se réserve le droit d’apprécier si les condamnations sont suffisantes, et, le cas échéant, de réclamer un nouveau jugement devant un tribunal mixte dont il fixera la composition. » Nous finirons par avoir satisfaction, mais nous ne l’avons pas encore. À ce moment, l’heure d’évacuer Chantaboun aura-t-elle sonné ? Il faut le désirer. Toutefois le gouvernement de la République devra se demander si l’état général du pays permet de prendre et d’exécuter cette résolution sans danger. Le jugement rendu par le tribunal siamois dans le procès relatif à l’odieux assassinat de M. Grosgurin montre que les passions antifrançaises sont loin d’être calmées. Or, notre convention porte en termes formels que nous ne sortirons de Chantaboun qu’après « complète évacuation et pacification » de la rive gauche du Mékong, d’une zone de 25 kilomètres sur une partie de la rive droite, et des provinces d’Ankor et de Battambang. Cette pacification est-elle dès maintenant complète ? Notre gouvernement seul est à même de s’en rendre compte.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.