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pour une raison ou pour une autre les questions d’assistance intéressent tout le monde, un certain nombre de conseils municipaux n’inscrivissent ce centime à leur budget, et tous verraient dans la faculté qui leur serait ainsi donnée une invitation et un encouragement à organiser la charité.

Cette invitation discrète serait-elle suffisante, et n’y aurait-il pas lieu d’armer les pouvoirs publics du droit, dans certaines circonstances, de rendre cette inscription obligatoire, comme autrefois en matière d’instruction primaire ? C’est là, je le reconnais, une question très délicate, mais puisque je suis en veine de hardiesse, j’irai jusqu’au bout de ma pensée.

Nous avons reconnu que l’Etat (j’entends par là la puissance publique, pouvoir central, départemental ou municipal, il n’importe), devait être charitable, et tout au moins subvenir aux défaillances de la charité privée. Or il y a trois natures de misère auxquelles la charité doit subvenir. Il y a d’abord la maladie. Il n’est pas admissible que l’homme qui vit de son travail et qui est terrassé par la maladie ou l’accident ne trouve pas les soins nécessaires, et ce n’est pas sérieux de dire, comme certains philanthropes, que, s’il demeure sans soins, il est puni de son imprévoyance, car il aurait dû se mettre à l’abri par la mutualité. Cela est parfait en théorie ; mais en fait, sans compter qu’il y a certaines natures de soins que les sociétés de secours mutuels sont incapables de donner, il faudrait que ces sociétés fussent conseillées partout : or il s’en faut. Il y a ensuite l’infirmité chronique ou accidentelle. Lorsque la nature livre à la société un être incapable de travailler, ou lorsqu’un accident l’a réduit à cette incapacité, il n’est pas admissible non plus que la société se désintéresse de sa subsistance et le réduise à faire un gagne-pain de son infirmité en l’exhibant dans les rues. Si ce n’était une question de charité, ce serait une question de voirie. Enfin, mais avec beaucoup plus de réserve, je dirai encore qu’il y a la vieillesse. Pour la vieillesse, on a le droit d’exiger en principe qu’elle soit l’objet de la prévoyance du travailleur, et qu’il prélève sur son salaire ce qui est nécessaire pour assurer la paix de ses vieux jours. S’il ne l’a pas fait, on peut exiger que sa famille subvienne à ses besoins. Mais il peut se faire que la famille fasse défaut ; il peut arriver également que le travailleur, avec la meilleure volonté du monde, n’ait rien pu mettre de côté. Pour économiser, la première condition est de gagner. Or qui oserait affirmer que tous les travailleurs gagnent assez pour économiser, surtout dans les industries féminines ? Et il ne faut pas oublier que les femmes forment un bon tiers du monde de