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osé la tenter. Cette fois, il a franchi le pas. La Chambre s’est trouvée en présence d’un sous-secrétaire d’État, M. Lebon, qui voulait s’en aller à tout prix pour montrer que la situation n’était plus tenable, et qui, tout en proposant de créer un ministère, refusait de l’occuper pour prouver son désintéressement personnel. Cette double considération a suffi à la majorité du Palais-Bourbon. Au Luxembourg, il a fallu davantage : le gouvernement tout entier, par la bouche de M. le Président du Conseil, a menacé de donner sa démission dans le cas où le ministère des colonies ne serait pas voté sans délai.

Si M. Casimir-Perier a voulu mesurer par-là l’influence qu’il exerce sur le Sénat, il a pleinement réussi. A peine une trentaine de voix ont-elles repoussé le ministère des colonies. Jamais majorité n’a été plus forte, et il est probable que, dans une circonstance analogue, un autre ministre n’aurait pas été aussi bien traité. Mais M. Casimir-Perier inspire une confiance particulière. Tout le monde lui sait gré de l’énergie ferme et tranquille qu’il apporte dans la direction des affaires, de l’habileté et du tact parlementaires qu’il y déploie, enfin de la netteté de ses déclarations. Ces qualités, que la Chambre apprécie, ne pouvaient pas être méconnues au Luxembourg. Elles le pouvaient d’autant moins que le débat relatif à la révision avait roulé tout entier sur le Sénat lui-même. Les uns voulaient le supprimer, les autres se contentaient de l’ébrancher : M. Casimir-Perier l’a défendu intégralement avec courage et avec succès. Le Sénat devait lui en savoir gré. Enfin, comment contester que, dans les conditions où la question se présentait, on n’était plus libre de reculer ? La démission définitive de M. le sous-secrétaire d’État des colonies, le vote de la Chambre, l’impossibilité de trouver un homme politique de quelque valeur qui voulût accepter la responsabilité, fût-ce un seul jour, d’une situation aussi mal définie, tout imposait la création immédiate d’un nouveau ministère. L’ajournement après les vacances présentait les plus graves inconvéniens sans aucun avantage. Provoquer une crise gouvernementale aurait été folie. Le Sénat a donc voté le ministère des colonies, et il a bien fait.

Au surplus, un jour ou l’autre, cette création était inévitable, et bien qu’on en parlât depuis longtemps, ce qu’on peut lui reprocher de plus grave est d’être arrivée à l’improviste. Le seul point qui importe maintenant est de savoir comment le ministère des colonies sera organisé, et de distinguer ce qu’on lui donnera de ce qu’on ne lui donnera pas. A peine était-il voté à la Chambre qu’une voix proposait de lui attribuer les protectorats, qui dépendent des Affaires étrangères, et, avant même qu’il fût né, ses partisans faisaient campagne pour qu’on lui donnât, sous le nom d’armée coloniale, les troupes qui appartiennent actuellement à la Marine. Si on réalisait dès aujourd’hui ce double vœu, le ministère des colonies ne tarderait pas à justifier toutes les craintes qu’il a inspirées à quelques esprits prévoyans. Il ferait de la