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étonnée de renonciation de ces principes : elle les avait oubliés. LA meilleure manière de réviser la Constitution est certainement d’en respecter l’esprit. La charte, disait-on après 1830, sera désormais une vérité : c’était beaucoup, c’était tout ce qu’il fallait à cette époque. Il ne faut guère plus, aujourd’hui, que revenir à la vérité de la Constitution » En sommes-nous là ? Cette réforme dans nos idées et surtout dans nos mœurs politiques est-elle à la veille de s’accomplir ? En tout cas, le gouvernement paraît le désirer, et le langage qu’a tenu M. le président du conseil est bien fait pour en donner l’espérance. M. Casimir-Perier est allé droit au fond des choses, et on serait obligé de remonter très haut dans nos annales parlementaires pour retrouver une déclaration aussi importante que celle qu’il a faite. « Il faut, a-t-il dit, se pénétrer de cette idée que le parti républicain n’est plus un parti, qu’il est la nation elle-même tout entière, et qu’il n’y a pas de tâche plus noble, plus patriotique, que de préparer en temps de paix cet accord universel qui se ferait à la frontière en temps de guerre. »

Le parti républicain n’est plus un parti. Le jour où il sera, en effet, pénétré de cette idée, une période de notre histoire politique sera heureusement close. Nous sommes aujourd’hui, toute proportion gardée, dans une situation analogue à celle où s’est trouvé Henri IV après les guerres de religion et le premier Consul après les discordes révolutionnaires. Le parti triomphant ne trouve plus devant lui que les adversaires qu’il veut absolument conserver et entretenir comme tels. Il dépend de la largeur de ses vues et de l’élévation de son âme de devenir le représentant de la nation tout entière et d’appeler tous les Français sous le même drapeau. Gambetta avait rêvé ce dénouement, et il avait même cru pouvoir le réaliser trop tôt, hélas ! pour lui et pour nous. Nos passions politiques avaient encore, de part et d’autre, des rancunes et des colères à dépenser pendant une dizaine d’années. La lassitude n’avait pas gagné les rangs réactionnaires. Le clergé n’avait pas reçu pour instruction de se retirer d’une lutte où il n’avait que des coups à recevoir, et il continuait de servir de lien à la coalition de droite, bien plus mélangée et plus hétérogène que ne l’était celle de gauche. Il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas reconnaître que les choses ont changé d’aspect, et que la situation d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. La meilleure preuve en est dans l’attitude de ce qui reste de la droite à la Chambre des députés. Visiblement, la droite ne demande qu’à voter avec le gouvernement, et lorsqu’on lui dit que, tout en appréciant son concours, on ne le recherche pas, et qu’on pourrait au besoin s’en passer, elle ne s’en offense plus comme elle l’aurait fait jadis, elle serait plutôt tentée d’en montrer de l’affliction. Certes, le gouvernement n’a pas à solliciter les voix de la droite et il pourrait le plus souvent s’en passer ; mais ces voix ont leur prix, et s’il est exact, comme l’a dit M. Casimir-Perier, que le parti républicain n’est plus un parti, qu’il est