Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/706

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra : Thaïs opéra en trois actes et sept tableaux, tiré du roman de M. Anatole France par M. Louis Gallet ; musique de M. Massenet.

Après l’année heureuse, la mauvaise année : Thaïs après Werther ; après l’une des meilleures partitions, l’une des moins bonnes, la moins bonne peut-être de M. Massenet. « Thaïs, tu vieilliras, » criait une voix secrète à la courtisane troublée. La voix menaçait l’œuvre autant que l’héroïne. Thaïs vieillira ; Thaïs, hélas ! est déjà vieille.

Dans le conte irréligieux et décevant de M. Anatole France, sous la forme exquise et le dédain raffiné, se cachait un admirable sujet d’opéra et le sujet d’un opéra admirable. Si cet opéra n’a point été fait, la faute n’en est pas au librettiste, lequel a tiré du livre toute la matière musicale, ou, passez-nous ce barbarisme, musicable, qui y était contenue. M. Gallet n’a pas naturellement prétendu porter sur la scène, sur une scène lyrique surtout, l’immorale et tranquille philosophie du roman. Il ne s’est point fait, en rassemblant des contradictions, en signalant des antinomies, conseiller d’incertitude et de doute. M. France avait voulu, dit-il lui-même, que Paphnuce (l’Athanaël de l’opéra) perdit son âme en sauvant celle de Thaïs, pour marquer que la justice divine n’est pas la justice humaine. » Voilà l’intention, et la prétention impie, la pointe de sarcasme et le mauvais sourire. Mais de cette histoire, moins risible que tragique, de cette compensation, d’ailleurs arbitraire, d’une âme sauvée par une âme perdue, si le romancier, non sans impertinence, avait souligné l’ironie, il appartenait au librettiste, et surtout au musicien, d’en dégager la gravité morale et la pathétique grandeur.