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charité mal faite : extension abusive des œuvres destinées avenir en aide aux filles-mères, qui tendent à constituer une véritable prime aux naissances illégitimes ; défaut d’entente entre les sociétés qui se proposent de venir en aide aux accouchées d’une part et les bureaux de bienfaisance d’autre part, ce qui permet à une mère un peu entendue de se faire délivrer trois layettes, dont deux sont aussitôt revendues, quand ce ne sont pas les trois ; rivalité irréfléchie entre protestans et catholiques auprès des habitans d’une même cité de chiffonniers, qui permet à une même famille de faire baptiser un enfant douze fois à l’église protestante et quatorze fois à l’église catholique, à vingt sous par baptême. On trouvera dans le livre de M. Paulian rémunération de toutes ces escroqueries dont la bienfaisance est victime. C’est là un état de choses déplorable, non pas seulement parce que l’argent, ainsi dépensé à tort et à travers, permettrait de soulager un beaucoup plus grand nombre de misères, mais parce que ces malfaçons de l’aumône font tort à la charité et favorisent cette idée inhumaine et fausse qu’on peut, dans une société civilisée, supprimer la charité. Distinguer la charité de l’aumône, avec laquelle elle ne se confond pas nécessairement, voilà donc la première chose à faire. Bien faire et l’aumône et la charité, voilà la seconde. C’est aussi la plus difficile.


III

Comment bien faire la charité ? C’est là une question des plus complexes, et celui qui écrit ces lignes n’a pas assurément la prétention de la résoudre en une fin d’article. Le but qu’il poursuit est beaucoup plus modeste, car il se propose principalement d’étudier un mode spécial d’assistance. Mais l’attrait de ces questions est tel qu’on lui pardonnera s il ne peut se défendre de consacrer un mot en passant à ce sujet difficile entre tous : l’organisation de la charité.

On peut disserter tant que l’on voudra sur les mérites respectifs de la charité publique et de la charité privée, et donner avec raison la supériorité à la charité privée ; la charité publique n’en demeurera pas moins toujours nécessaire. Elle est nécessaire, parce que son office est de pourvoir aux lacunes et aux intermittences de la charité privée ; elle est nécessaire aussi et surtout peut-être comme une protestation contre cette fausse conception de l’Etat uniquement cantonnier, percepteur et gendarme, que l’économie politique avait trop mise à la mode. L’État n’est pas seulement tout cela : il est, il doit être encore ce que le code civil