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de Napoléon, érigée à Fixin par MM. Noisot, grenadier de l’île d’Elbe, et Rude, statuaire, le 19 septembre 1847. » — Une foule de belles dames en châles de cachemire et de messieurs aux redingotes héroïques emplit le parc de Fixin ; entre deux haies de gardes nationaux qui présentent les armes, dans la fumée des coulevrines juchées sur le castel crénelé de Noisot, le bloc de bronze se dresse au sommet d’un tertre. — Au pied de ce tertre, aux pieds de son Empereur, Noisot fit creuser sa sépulture. Il s’y coucha quelques années plus tard, sentinelle vigilante, résolue à attendre là le jour de la glorification définitive, l’heure où le peuple français la relèverait de sa faction. Le monument resta ignoré, sauf des rares touristes qui visitaient ce coin de Bourgogne. Tout récemment, par une coïncidence fatidique, le musée du Louvre installait dans notre salle de sculpture française le plâtre de l’Eveil à l’immortalité, comme pour consacrer le renouveau de la légende par une œuvre qui en est le parfait symbole.

L’Empereur se soulève à demi sur le lit de camp où il dormait. Il écarte d’une main la draperie qui le couvrait, suaire ou manteau militaire, on ne sait. Le buste se redresse, le visage apparaît, moulé sur le masque pris à Sainte-Hélène, maigre, les yeux clos, le front lauré. Le lit pose sur un énorme socle de roches, où l’attachaient des chaînes qui retombent, brisées. L’aigle est éployée sur le devant, clouée aux roches, toute meurtrie, les serres pendantes, les ailes froissées. Dans l’emmêlement furieux que Rude a fait de ces motifs, il semble que le lit porte sur l’aigle autant que sur les pierres du socle. On regrette de ne pas voir auprès Claude Noisot, son mousquet au bras ; mais le capitaine peut se rendormir à Fixin : comme il l’a voulu, son Empereur se réveille dans le Louvre sous les yeux du peuple, qui a relevé le vieux grenadier, de la garde funèbre qu’il montait.

Ce glorieux Rude ne fut jamais mieux inspiré, depuis le jour où il tailla sur l’Arc de Triomphe la synthèse de la Révolution : d’un côté, l’Esprit déchaîné, épars sur la foule qu’il soulève ; de l’autre, cet Esprit absorbé et discipliné dans un homme en qui il s’incarne, prisonnier de l’homme et victorieux par lui. En deux images frappantes, le ciseau du sculpteur a fixé une loi fondamentale de l’histoire, cette loi que le génie fumeux de Carlyle développait au même moment dans un livre sur le Culte des héros : toute force nouvelle naît fatalement dans le désordre, elle n’accomplit sa destinée que dans l’individu qui la réduit à l’ordre, la capte durement et la métamorphose. — « C’est une position tragique pour un vrai homme de travailler on révolutions. Il semble un anarchiste ; et, en vérité, un douloureux élément