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détails, mais dont l’ensemble arrive à donner aux salles de spectacle allemandes une tout autre physionomie qu’aux nôtres ? Tout d’abord il faudra remarquer que la question du duel entre le dîner et le théâtre, qui préoccupe à si bon droit chez nous M. Francisque Sarcey depuis trente ans, ne se pose pas en Allemagne. On ne dîne pas, si l’on va au théâtre. On a goûté avant, et l’on soupe après. On a la tête libre pour bien écouter et bien entendre ; on est mieux disposé à un effort continu de l’attention. Le spectacle commence généralement vers sept heures. L’exactitude est très grande. Tout est réglé pour éviter le mieux possible la moindre perte de temps. Les entr’actes sont courts, minutieusement réglés, et la durée en est indiquée au public sur les programmes, avec l’heure où finit le spectacle, qui ne dure jamais plus de deux heures et demie, trois heures au plus. Le public lui aussi est exact : il faut être là au début pour tout comprendre, et il veut d’abord tout comprendre. Avant de venir, il ne perd pas de temps à s’habiller : en Allemagne le théâtre n’est pas un salon. Une fois arrivé, il n’en perd même pas à se placer ; à Berlin on va jusqu’à payer d’avance les voitures quand on se rend au théâtre, pour que l’entrée se fasse plus rapidement et avec plus d’ordre ; et une fois entré enfin, il n’y a pas non plus à parlementer interminablement avec un huissier ou une ouvreuse pour aller occuper sa place, toutes les places, depuis les meilleures jusqu’aux plus mauvaises, étant très exactement numérotées. Et d’ailleurs y a-t-il de mauvaises places, puisque nulle part on n’a à craindre d’avoir devant soi un chapeau de femme, ce gracieux et encombrant objet étant avec toute raison interdit dans la salle ? L’importance, et même l’importance considérable de tous ces détails et surtout de ces questions d’heures, M. Sarcey, comme je l’ai dit, ne cesse de nous la montrer et de nous en développer les motifs. La seule chose qui très probablement le ferait se révolter dans beaucoup de théâtres allemands, et qui, pour des raisons d’ailleurs différentes, ferait se révolter avec lui toutes les Parisiennes, et autant dire toutes les Françaises, c’est qu’on n’hésite pas pendant le spectacle à faire presque l’obscurité dans la salle. Mais peut-être M. Sarcey tient-il parfois un peu trop à voir, et nos Parisiennes un peu trop à être vues ; car enfin, quoi qu’ils en pensent, sauf pour les vaudevilles et les opérettes, dont nous n’avons pas à nous occuper ici, il y a le plus souvent de bien grands avantages à tâcher de concentrer toute l’attention sur la scène elle-même, sans compter que cette manière de faire peut servir à augmenter considérablement l’apparence de vérité et l’impression de vie de certains tableaux.

Si j’ai fait mention de ces questions d’ordre tout extérieur, c’est qu’on peut y trouver une confirmation nouvelle de ce que je disais au début de cet article, une preuve du sérieux avec lequel on en agit en Allemagne avec tout ce qui concerne le théâtre, que l’on a plus