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ouvert la chaire chrétienne aux revendications populaires les plus hardies ; ils avaient béni les arbres de la liberté en criant : Vive la République ! On sait comment tout cela a fini. Un jour est venu où la société s’est sentie menacée. Elle s’est défendue et, elle a versé le sang à flots, car rien n’est impitoyable et brutal comme la répression exercée par les intérêts qui ont eu peur. 50 000 cadavres ont jonché les rues de Paris, et parmi eux celui d’un saint archevêque qui dans un moment d’entraînement avait salué avec enthousiasme la révolution dont il devait devenir la victime. A Dieu ne plaise que je veuille prédire au siècle finissant une aussi effroyable aventure, mais il ne faudrait pas cependant continuer trop longtemps le jeu qu’on joue, si on ne veut pas que tout finisse autrement que par des chansons. Le jour où les fusils Lebel feraient merveille dans les rues de Paris ou ailleurs, comme ils ont déjà fait à Fourmies, plus d’un parmi ceux qui donnent aujourd’hui libre carrière à leurs chimères aurait à se frapper la poitrine, car chaque parole imprudente sera comptable d’une goutte de sang répandu.

Heureusement ces imprudences sont le fait de quelques personnalités isolées ; s’il y a en France des vicaires inconsidérés, il y a des évêques sages, et, Dieu merci, aucun d’entre eux n’a adopté ces allures de démagogie cléricale. Il semble même que quelques-uns commencent à avoir conscience du péril. Le mandement de carême du nouvel évêque d’Angers contient un éloquent et sage avertissement. On me permettra également de citer ce fragment d’une lettre que l’évêque de Montpellier adressait naguère à son clergé : « Ne disons pas qu’il n’y a rien à faire ! mais ne faisons rien que de sage, rien qui ne soit en parfait accord avec ces lois sacrées de l’ordre chrétien, les seules qui puissent, par la charité, répondre pleinement aux aspirations légitimes de toute société humaine. Ne séparez jamais, messieurs, les hommes en deux classes, forcément hostiles l’une à l’autre. Tenez la balance égale entre les patrons et les ouvriers, montrant, par votre ferme bon sens, que la justice sociale ne consiste pas à oublier les uns au profit des autres, mais à stimuler le dévouement et la sollicitude éclairée de ceux-là, pour satisfaire, par une réglementation prévoyante, aux justes revendications de ceux-ci ; à établir l’harmonie entre les diverses fonctions sociales, à maintenir dans son intégrité ce tout hiérarchique si complexe qu’on nomme la « société », telle que Dieu l’a faite et telle qu’il la veut ! » Catholique alarmé, j’oserai recommander à quelques catholiques ces belles et sages paroles.