Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je suis courageux, moi, par contagion. » Et savez-vous pourquoi aucun d’eux ne comparut devant Fouquier-Tinville ? Rien de plus simple, c’est que celui-ci craignait la petite vérole qui sévissait aux Madelonnettes ; explication comique qui rappelle les commentaires des émigrés sur la Révolution et se rattache à cet ordre fantaisiste où les petites causes jouent l’office des grandes ; car le mot de Pascal sur le nez de Cléopâtre et la maladie de Cromwell a engendré toute une postérité, qui fait la caricature de l’histoire et de la philosophie. D’ailleurs, pour combattre l’impureté de l’atmosphère et conjurer la maladie, le docteur Dupontet avait imaginé plusieurs stratagèmes : ouverture des portes et fenêtres à une heure prescrite, vinaigre versé à flots sur des pelles rougies, promenade militaire hygiénique avec marches, contremarches, évolutions sous les ordres du général Lanoue et de Saint-Prix[1]. Et les originaux de toute sorte surgissent pendant ce séjour de dix mois : cet excellent M. de Crosne, successeur de Lenoir, assez semblable dans l’infatuation de sa dignité à cet ancien officier général qui, ayant reçu le cordon, ne le quitta plus couchait avec, et même dans le bain le gardait en sautoir à l’aide d’une enveloppe de toile cirée, mais si calme dans l’infortune, et partant pour le tribunal révolutionnaire du même air qu’il avait en se rendant chez le roi ; — l’abbé de *** qui, des trois moyens de parvenir à l’épiscopat, les femmes, les jésuites, la vertu, avait préféré le premier comme plus court, et savait donner à ses galantes aventures un ragoût canonique. Puis vient le chapitre des démarches pour adoucir le sort des prisonniers ou les délivrer : la petite Fleury qui arbore ses plus jolies toilettes quand elle vient voir son père, et apporte au fils du concierge des bonbons exquis, pierrots de carton coiffés du bonnet rouge, car le cercle dantesque se resserre, la Commune ordonnera bientôt une séquestration complète, et les permis de visites deviennent difficiles à obtenir ; lady Mantz et la comtesse de ***, anciennes amies de Fleury, M. Trouvé, « un de ces hommes qui auraient réconcilié Alceste avec l’humanité », s’ingéniant en sa faveur. Sa sœur, Mme Sainville, va trouver Collot d’Herbois[2] à qui elle avait rendu jadis un service majeur, il lui répond cruellement : « Les temps sont bien changés, maintenant tu viens me

  1. N’est-il pas admirable, ce dialogue entre M. de Malesherbes et Champville, lorsque, le premier s’étant félicité d’avoir fait sa connaissance, et celui-ci exprimant le regret qu’elle n’eût pas lieu ailleurs, l’ancien ministre reprit du ton le plus simplement simple : « Félicitons-nous tous deux sans arrière-pensée, car peut-être dans le monde la différence de nos occupations ne nous eût pas permis de nous rejoindre. »
  2. M. Victor Fournel a entrepris une série sur les comédiens révolutionnaires et il a déjà publié deux monographies très complètes sur Collot d’Herbois et Fabre d’Églantine.