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se poursuit triomphalement, et qu’entre deux actes Fleury tire cet horoscope à Dazincourt : « C’est aujourd’hui notre 10 août. »

Non pas aujourd’hui, mais le lendemain 3 septembre, Barère demanda à la Convention de confirmer un arrêté du Comité de Salut public ordonnant la fermeture du théâtre, l’arrestation de François de Neufchateau et des acteurs, soupçonnés d’entretenir des correspondances avec les émigrés, coupables d’incivisme notoire, jouant une pièce entachée de modérantisme, où l’on entendait l’éloge du gouvernement anglais que venaient applaudir « la noblesse, les aristocrates, les modérés, les Feuillans ». L’Assemblée s’empressa d’approuver le rapport de l’Anacréon de la guillotine qui fut mis à exécution dans la nuit du 3 au 4 septembre : Sainte-Pélagie pour les citoyennes Petit-Vanhove, Lange, Fleury, La Chassaigne, Mézeray, Devienne, Suin, Joly et Raucourt ; les Anglaises pour Louise et Emilie Contat ; les Madelonnettes, plus tard Picpus pour Dazincourt, Fleury, Saint-Phal, Bellemont, Vanhove, Saint-Prix, Dunaut, Champville, La Rochelle, etc. Le gros Desessarts, en congé aux eaux de Barèges[1], eut une attaque en apprenant la nouvelle et mourut peu de jours après ; La rive arrêté pour avoir reçu Bailly et l’état-major de La Fayette, le jour de la manifestation du Champ-de-Mars, fut relâché, repris et interné à Sainte-Pélagie ; seul, Mole resta libre, grâce à son civisme ; il entra au théâtre National de la rue de la Loi, dit théâtre des Neuf-millions, construit à l’angle de la rue de Louvois par l’architecte Louis, ouvert quinze jours auparavant par Mlle Montansier, théâtre cosmopolite où se coudoyaient les genres les plus opposés : tragédie, comédie, opéra, danse, grande pantomime, sans oublier les chevaux de Franconi qui font merveille dans la Constitution à Constantinople.

Ce qui se passait dans les prisons de la Terreur, je l’ai dit ici même d’une manière générale[2], et quelques traits sur les comédiens compléteront ce tableau. Fleury, ou plutôt Laffite, son teinturier littéraire, raconte fort plaisamment comment lui, grand seigneur de la tête aux pieds, dut apprendre à se servir, et crut avoir accompli un acte d’héroïsme en mouchant une chandelle avec ses doigts ; les facéties de Champville, le fils de prison de M. de Boulainvilliers, qui s’arrangeait toujours pour être de corvée avec lui, mettant un art infini à escamoter son travail et éviter un remerciement ; le sang-froid de ce même Champville apprenant qu’on va les appeler devant le tribunal révolutionnaire, et sa réponse à M. Angrand d’Alleray, ancien lieutenant criminel :

  1. Voyez la Revue du 1er février 1890.
  2. Voyez la Revue du 1er février 1890.