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bien lorsque Laya osa donner l’Ami des lois (2 janvier 93).

C’était une pièce toute politique, assez plate au fond, puisqu’elle ne put se maintenir lorsque les circonstances qui l’avaient inspirée disparurent, mais honnête, satirisant avec courage les faux monnayeurs de patriotisme, les profiteurs de révolutions, les crimes de la licence et de l’anarchie, et, parce qu’elle plaidait pour la liberté contre les sectaires, traduisant l’opinion du plus grand nombre : l’œuvre d’un républicain centre gauche, comme on dirait aujourd’hui. Chacun reconnut Marat dans Duricrane, Robespierre dans Nomophage, la pièce faisait chaque soir le maximum de recettes, Laya devenait le représentant de la conscience nationale, et les spectateurs soulignaient de bravos enthousiastes des tirades comme celle-ci :


Ce sont tous ces jongleurs, patriotes de places,
D’un faste de civisme entourant leurs grimaces.
Prêcheurs d’égalité, prêtres d’ambition ;
Ces faux adorateurs, dont la dévotion
N’est qu’un dehors plâtré, n’est qu’une hypocrisie.
Ces bons et francs croyans, dont l’âme apostasie,
Qui, pour faire haïr le plus beau don des deux,
Nous font la liberté sanguinaire comme eux.
Mais non, la liberté, chez eux méconnaissable,
A fondé dans nos cœurs son trône impérissable.
Que tous ces charlatans, populaires larrons,
Et de patriotisme insolens fanfarons.
Purgent de leur aspect cette terre affranchie !
Guerre, guerre éternelle aux faiseurs d’anarchie !
Royalistes tyrans, tyrans républicains,
Tombez devant les lois, voilà vos souverains !
Honteux d’avoir été, plus honteux encor d’être,
Brigands, l’ombre a passé, songez à disparaître !


Tandis que Chaumette et Santerre dénoncent la pièce à la Commune et aux Jacobins, Laya cherche à détourner l’orage en l’offrant à la Convention, qui, après un débat assez vif, la renvoie au comité d’instruction publique. Sur ces entrefaites, le Conseil général de la Commune suspend les représentations, une foule énorme accourt au théâtre de la Nation, et, lorsque Fleury donne connaissance de l’arrêté, répond avec ensemble : « C’est une tyrannie ! L’Ami des lois ! » Quelques jacobins qui veulent protester sont couverts de huées, houspillés, chassés, Santerre accueilli aux cris de : « A bas le général Mousseux ! » Quelqu’un ayant annoncé que la salle est entourée, qu’on va en faire le siège : « Nous sommes sur les nôtres ! riposte un loustic. — Mais on amène du canon, déjà deux pièces sont braquées. — Nous n’en voulons qu’une, répètent d’autres voix. La pièce ou la mort ! » Chambon, maire de Paris,