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officiers de la Ville, toutes les avenues gardées par des détachemens de la garde à cheval.

Voilà le public satisfait, mais le tripot comique demeure en proie à la guerre civile. Duel de Naudet et Talma, lettre de ce dernier à Mirabeau pour se justifier de sa connivence trop réelle, réponse de Mirabeau qui le l’ait blanc comme neige, mémoires des comédiens et de Naudet, contre-mémoire de l’accusé, lettre de Joseph Chénier déclarant qu’il se voit contraint de porter des pistolets pour sa défense personnelle puisque Charles IX lui a fait des ennemis de tous les vils esclaves, lettre violente de Talma aux journaux contre les inciviques de la Comédie, dénonciation de Fleury qui propose et fait voter son exclusion. Aussitôt cet ostracisme connu, les patriotes s’assemblent, déclarent la guerre aux noirs, choisissent le 16 septembre comme jour de la lutte. Grand embarras des comédiens : une loi nouvelle les a placés sous le gouvernement de l’Hôtel de Ville qui leur enjoint de ne plus se séparer de Talma, et ils ont bonne envie de ne reconnaître que les gentilshommes de la chambre. La Comédie ne conserve-t-elle point, d’après ses règlemens, le droit d’expulser un membre en cas d’urgence ? De quoi se mêlent ces bourgeois, ces municipaux qui prétendent remplacer les ducs et pairs de Sa Majesté ? « Jamais, s’écriait Contat, je ne recevrai d’ordre d’un municipal qui est mon chandelier ou mon marchand d’étoffes ! » Donc on passe outre, et l’on s’apprête à aborder bravement l’ennemi. Au jour dit, chacun est à son poste, le rideau se lève, mille voix ébranlent la salle : « Talma ! Talma ! » Fleury tout de noir habillé s’avance et dit : « Messieurs, ma société, persuadée que M. Talma a trahi ses intérêts et compromis la sécurité publique, a décidé à l’unanimité qu’elle n’aurait plus aucun rapport avec lui jusqu’à ce que l’autorité on eût décidé. » Les partisans de Talma font rage dans la salle, Dugazon s’élance du manteau d’arlequin devant la rampe. « Messieurs, s’écrie-t-il, la Comédie va prendre contre moi la même délibération que contre M. Talma. J’accuse toute la Comédie. Il est faux que M. Talma ait trahi sa société et compromis la sécurité publique ; son crime est de vous avoir dit qu’on pouvait jouer Charles IX et voilà tout. » Le tumulte devient effroyable, le journaliste Suleau parodie le président de l’Assemblée nationale, agite une énorme sonnette, réclame le silence, donne, retire la parole ; invectives, défis s’échangent, les banquettes apprennent à voler, on escalade les loges, la scène, jusqu’à ce que la force armée arrive et dissipe la foule, qui, pour passer sa colère, descend jusqu’au Palais-Royal en poussant des vociférations.

Là-dessus duel de Dugazon et Fleury, mercuriale de Bailly qui