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aux idées nouvelles, raisonnant eux aussi comme des talons rouges, traitant la Révolution de feu de paille, le déficit de compte de blanchissage, fort à cheval sur leurs privilèges. On pelotait en attendant partie, on se plaisantait, on nommait Dugazon Aristomène, Molé Aristopie parce qu’il ne savait s’il serait noir ou blanc ; on se demandait : Es-tu Calonne, es-tu Necker ? et une de ces dames résumait ainsi l’opinion du beau sexe : « Mon Dieu, c’est bien vrai que la France est en révolution ; Mme Josse a mis sur l’étiquette de ses pots Rouge national au lieu de Rouge végétal. » L’affaire de Charles IX mit le feu aux poudres, Talma acheva d’y brûler ses vaisseaux.

La Saint-Barthélémy, un cardinal atroce, un roi faible, tantôt hypocrite et tantôt cruel, donnant l’ordre d’assassiner Coligny, de tuer ses sujets, cette tragédie que Palissot appelle la première tragédie nationale transportait la révolution au théâtre. Saint-Phal ayant refusé le rôle de Charles IX, Mme Suin, l’excellente mère noble, conseilla à Talma de le demander. « Vous êtes, dit-elle, destiné à faire les pièces que tant d’auteurs pensent écrire, vous avez les yeux, l’accent, le maintien de la fatalité. » Talma écouta Mme Suin, et, le 4 novembre 1789, il alla aux nues. Les oracles du balcon saluèrent un successeur de Baron et Lekain, admirèrent l’exactitude de son costume, sa pantomime éloquente ; les défauts du tragédien, ses cris trop répétés, quelque monotonie de déclamation, semblèrent noyés dans un flot de qualités puissantes. Il devint tout d’un coup l’acteur d’un peuple en révolution. Trente-trois représentations avaient rendu son nom célèbre, un monde prodigieux venait encore l’entendre, lorsque les évêques s’avisèrent un peu tard qu’un tel ouvrage pourrait ameuter les esprits contre la religion ; un ordre des gentilshommes de la chambre l’interrompit brusquement. Quant aux comédiens, ils savaient sans doute la beauté du rôle de Charles IX, mais ils ne devinèrent pas quel parti Talma en tirerait, surtout ils n’admettaient pas, eux qui avaient été martyrs des règlemens, que leur camarade sautât à pieds joints sur eux, et leur étonnement se compliquait sans doute de quelque mauvaise humeur, assez semblable à celle qui dut s’emparer des vieux divisionnaires blanchis sous le harnais en voyant des blancs-becs de vingt-six ans, Hoche, Bonaparte, remporter des victoires. Et, afin d’établir un contre poids, d’opposer une vieille gloire à cette jeune renommée, ils sollicitèrent la rentrée de La rive, l’ancien élève de Clairon, tragédien distingué, aussi populaire par ses défauts que par ses qualités, un des successeurs de Lekain. « Larive, observe Bégnier, était grand, beau, bien fait ; sa voix était puissante, d’une