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autres, Parisiens d’aujourd’hui, de mesurer le chemin dévoré par ces prix. Parcourrons-nous, à la veille de la Révolution, le faubourg Saint-Germain de 1789, pour nous rendre compte de la plus-value dont a profité le sol de ces hôtels aristocratiques, depuis l’époque ancienne et vague, mais qui ne remonte, en aucun cas, plus haut que la seconde moitié du XVIe siècle, où ils ont été « accensés », c’est-à-dire vendus pour une rente féodale ?

L’un dans l’autre, ces bâtimens valent peut-être, à la fin du règne de Louis XVI, 75 000 francs chaque. Cependant la maison qui fait le coin de la rue Jacob et de la rue Saint-Benoît ne doit, pour le sol qu’elle occupe, que 90 livres de cens, et c’est la plus chère ; sa voisine, rue Jacob, n’en paie que 30 livres et une troisième, à côté, que 2 deniers (moins d’un centime). La maison qui fait le coin des rues de l’Université et des Saints-Pères ne doit que 12 livres 10 sous de cens ; c’est également le cas des hôtels de Beaupréau et de Guéménée qui la suivent et qui correspondent aux premiers numéros de la rue de l’Université. Vient ensuite l’hôtel Villeroy qui paie 58 livres ; les hôtels Maupeou et Amelot ne doivent que 17 livres chacun ; vis-à-vis de la rue de Beaune s’élève l’hôtel de Thury dont le cens est de 27 livres.

Dans la rue du Bac, le terrain de l’hôtel Nicolaï avait été originairement vendu pour une rente de 7 livres ; celui des hôtels Castellane et Le Rebours pour des redevances de 10 et 11 livres. Continuant à descendre la rue de l’Université, nous trouvons le terrain de l’hôtel Molé à 20 livres ; les hôtels de Broglie, de Brou et Boiseulh, au coin de la rue Bellechasse, ne payaient chacun que 10 sous. Le terrain de l’hôtel de Mailly rapportait, à ceux qui l’avaient primitivement concédé, 5 sous par an ; or cet hôtel, dont le sol avait été ainsi aliéné pour 5 sous de rente, a été vendu, il y a une quinzaine d’années, moyennant dix-huit cent mille francs, à une société financière qui l’a démoli et a taillé dans sa cour et son jardin une rue presque entière, la rue de Villersexel.

Il est quelques terrains parisiens dont nous pouvons suivre les variations à travers les siècles, parce qu’ils n’ont cessé, depuis le moyen âge jusqu’à la fin de l’ancien régime, d’appartenir au même propriétaire, l’Hôtel-Dieu de Paris. En 1234, un cordonnier anglais achetait, moyennant une rente de 245 francs par an, 2 hectares 70 ares de marais, à peu près à l’encoignure du faubourg Montmartre et de la rue Bergère. C’était un prix très élevé, au temps de saint Louis, que 90 francs de loyer à l’hectare, même pour la culture des légumes favorisée par le voisinage de Paris. Cependant, capitalisés suivant l’usage du temps au denier 10 ou 12, ces terrains ne valaient encore que 900 à 1100 francs