Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesures adoptés en leur faveur ayant, tout le monde semble d’accord sur ce point, tourné jusqu’à présent à leur détriment. Il s’agit de l’intervention de l’État dans la vie de l’ouvrier adulte, maître de ses droits et ne relevant que de lui-même. Il s’agit également du droit qu’aurait la puissance publique d’intervenir, par dérogation au principe général de la liberté des conventions, dans un contrat de nature spéciale, le louage d’industrie, et d’en fixer lui-même les principales conditions. Ce droit, pour les socialistes catholiques, ne fait plus aucun doute ; le désaccord ne commence entre eux que sur les applications qu’il convient d’en faire. Mais le désaccord est profond et l’on peut s’étonner que des hommes si ardens à dénoncer le mal soient si incertains sur les remèdes. Lorsque les socialistes de l’école de M. Guesde proposent de nationaliser toutes les propriétés, de contraindre tout le monde au travail et de répartir par tête tous les produits, et lorsque, s’appuyant sur d’ingénieuses données statistiques empruntées à un socialiste néerlandais, Domela Nieuwenhuis, ils déclarent que, si chaque homme valide travaillait une heure vingt minutes par jour, l’aisance générale serait assurée, leur système peut assurément paraître chimérique, mais il a le mérite d’être simple et, à tant faire que de réclamer l’intervention de l’Etat, la chose en vaut la peine. Les socialistes catholiques, dont beaucoup ont d’excellentes raisons pour ne pas être partisans de la nationalisation des propriétés privées et du travail obligatoire, ne sont pas aussi déterminés. S’ils ont réclamé l’intervention de l’Etat, cela n’a été d’abord que pour fixer la durée de la journée de travail. Quelle doit être cette durée ? Onze heures, disent les uns ; neuf ou dix heures, disent les autres ; huit heures, affirment les plus hardis ; sans se laisser troubler par cette objection qu’il est assez irrationnel de fixer une durée absolument identique pour une journée de travail qui ne représente ni le même effort, ni le même produit. Mais comme la logique ne perd jamais ses droits, la question du maximum du travail en a fait naître immédiatement une autre : celle du minimum de salaire. Les socialistes pour de bon l’ont bien compris. « Quel service aurez-vous rendu à l’ouvrier, disent-ils, quand vous aurez défendu au patron de l’employer plus de huit ou dix heures par jour, si vous ne l’obligez pas à lui assurer la même rémunération ? Si vous ne faites pas cela, le patron réalisera une économie. Sans doute il sera obligé de restreindre ses affaires, mais en fin de compte c’est l’ouvrier qui y perdra. » L’argument n’était pas sans force. Les socialistes catholiques se sont trouvés embarrassés pour y répondre, et ils ont emboîté le pas. Beaucoup d’entre eux admettent le principe d’un