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compris. Rien n’est difficile cependant comme d’appréhender au corps quelques-unes des solutions qu’ils proposent. D’abord ces solutions varient d’année en année. Il n’y a pas bien longtemps le salut était dans le syndicat mixte avec patrimoine corporatif et comité d’honneur : c’est-à-dire tous les ouvriers et tous les patrons sinon d’une même industrie, du moins d’une même région confondus dans le même syndicat ; l’harmonie maintenue entre ces élémens si différens par la propriété commune d’un patrimoine dont la composition problématique n’a jamais été bien clairement indiquée ; enfin l’arbitrage de toutes les questions pouvant amener un désaccord, — taux des salaires, durée de la journée de travail, etc., — remis à un comité de membres étrangers à la profession et statuant souverainement[1]. Voilà quelle était la solution où avaient abouti les méditations du comité de l’œuvre des cercles catholiques. Mais cette solution paraît avoir quelque peu perdu de la faveur qu’elle avait rencontrée dans les milieux où elle était née et dont elle n’est jamais sortie. Sans doute on aura réfléchi que, pour constituer ces syndicats, deux élémens feraient toujours défaut, d’un côté les patrons et de l’autre les ouvriers, et que ni les uns ni les autres n’accepteraient de remettre leurs destinées entre les mains d’hommes ne présentant d’autre garantie que leur inexpérience des questions sur lesquelles ils auraient à se prononcer. On trouve bien encore de temps à autre dans la bouche de ceux qui ont ressenti le plus d’enthousiasme pour cette conception bizarre un éloge à l’adresse des syndicats mixtes. Mais c’est pour l’honneur ; on sent que la foi n’y est plus et que la mode est ailleurs.

La mode est aujourd’hui à l’intervention de l’Etat. C’était la conséquence inévitable de cette méfiance de la liberté qui est le fonds commun de toutes les écoles socialistes. Pour restreindre la liberté du travail, c’était d’abord aux syndicats mixtes qu’on avait prêté confiance. Les syndicats mixtes étant demeurés une création sur le papier, il était fatal que l’on finît par s’adresser à l’Etat, dont c’est le métier que de porter atteinte à la liberté. On ne dispute plus aujourd’hui entre socialistes catholiques que sur la forme et la mesure de l’intervention de l’Etat, mais la dispute est grande et la confusion à son comble. Je ne parle pas de cette intervention restreinte à la protection des femmes et des mineurs, dont le principe ne peut souffrir aucune difficulté, mais dont l’application est singulièrement délicate, l’expérience des dernières

  1. Voyez sur cette organisation la Revue du 1er mars 1885.