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formèrent un village (vicus) ; sous Marc-Aurèle, c’est un municipe, qui possède une administration régulière, et s’appelle magnifiquement lui-même : Respublica Lambæsitanorum. On y avait bâti deux forums, entourés d’une colonnade, avec un capitole dont il reste de très beaux débris, et qui, comme celui de Rome, était consacré à Jupiter, à Junon et à Minerve. La ville a dû s’agrandir et s’embellir très vite : chaque génération tenait à y ajouter des ornemens nouveaux. Par exemple, les pères s’étaient contentés de capter la source qui s’appelle aujourd’hui Aïn-Drin et de la canaliser ; les fils, à l’endroit où elle sort de terre, construisirent un temple à Neptune ; les petits-fils, non contens de le réparer, l’entourèrent d’un portique : c’était entre eux une émulation de magnificence. Parmi les édifices qui ne sont pas tout à fait en ruines, c’est le temple d’Esculape qui m’a paru le plus curieux. Il ne ressemble pas à ce qu’on voit d’ordinaire, et c’est un grand mérite en Algérie, où les monumens paraissent presque tous construits sur le même modèle. Le temple proprement dit, un temple petit et coquet, est bâti, au fond d’une sorte de cour ou de parvis, sur une terrasse qui s’élève de quelques marches au-dessus du sol. L’inscription qui en couvrait le fronton, et qui est aujourd’hui à terre, nous apprend qu’il a été construit sous Marc-Aurèle, et qu’il était consacré à Esculape et à la Santé, ou, comme disaient les Grecs, à la déesse Hygie[1]. Mais le temple lui-même n’est qu’une petite partie de l’édifice. La terrasse sur laquelle il est construit s’avance à droite et à gauche, de manière à former avec la ligne du fond une sorte de trapèze ; elle portait une colonnade, qui encadrait le parvis, et se terminait des deux côtés par deux chapelles circulaires, soutenues aussi par des colonnes, et dédiées à Jupiter (Jovi valenti) et à Sylvain. Rien ne devait être plus élégant, plus gracieux, que ce mélange de lignes droites et de formes rondes, si harmonieusement fondues ensemble. Par malheur ce charmant monument est dans un déplorable état : le temps avait commencé à le détruire ; les hommes l’achèvent, et les hommes sont bien plus terribles que le temps : il avait mis des siècles à endommager l’édifice ; en quelques années, ils n’en ont presque plus rien laissé subsister. J’ai cherché dans une des chapelles latérales la mosaïque que Léon Renier y avait vue, et sur laquelle était écrite cette phrase si belle, si religieuse, qu’un chrétien pourrait placer sur le seuil d’une église : Bonus intra, melior exi : elle a disparu ; il est probable que quelque entrepreneur de travaux publics l’aura détruite pour caillouter une route du voisinage.

Quoique Lambèse fût en apparence un municipe comme les

  1. Dans les décombres on a retrouvé les statues des deux divinités. On peut les voir aujourd’hui dans le petit musée qu’on a installé dans le prætorium.