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par l’Espagne, les armes dont elles s’étaient ensuite servies contre les troupes espagnoles. Il admit cependant sa responsabilité personnelle pour l’agression du commencement d’octobre ; mais refusa de faire entrer dans le calcul de l’indemnité de guerre les dépenses faites postérieurement par l’Espagne sur le continent, parce que, disait-il, si on lui eût laissé le temps d’intervenir, le cabinet de Madrid n’eût pas eu à mobiliser des réserves, à expédier 22 000 hommes en Afrique et à faire croiser une escadre d’évolutions sur les côtes marocaines.

Finalement il cria misère, déclara qu’il ne trouverait jamais dans son pays si pauvre les 25 millions exigés, et offrit de transiger pour 5 millions de francs. Après des pourparlers qui durèrent environ un mois, entre le grand-vizir Gharnit, au nom de Mouley-Hassan, et Martinez Campos au nom du cabinet Sagasta, pourparlers qui procurèrent aux deux parties les délais nécessaires pour sonder l’opinion des chancelleries européennes, le sultan du Maroc acquit la conviction que toutes les grandes puissances, y compris la France et l’Angleterre, se montraient favorables à la cause de l’Espagne, dont la loyauté et la modération ne s’étaient pas un instant démenties.

Il se résigna donc à traiter sur la base de l’ultimatum qui lui était présenté : l’indemnité de guerre fut fixée à 20 millions de francs payables en termes successifs. Seulement, en cas de retard des versemens, le Maroc livrera à l’Espagne comme garantie la perception des recettes dans les quatre principales douanes de l’empire. Le sultan a promis en outre de châtier les Kabyles, de constituer une garde permanente autour de Melilla pour maintenir l’observation des traités, et de faire tracer, de concert avec les délégués espagnols, à la fin de la saison des moissons, une zone neutre entre les possessions de l’Espagne et les territoires arabes.

Tandis qu’il remportait ainsi au dehors un succès incontestable, M. Sagasta, malade et retenu au lit par la fièvre, voyait à l’intérieur s’amonceler les difficultés et grandir les germes de division qui existaient depuis quelque temps dans son cabinet. Les questions à l’ordre du jour ne manquaient pas pour alimenter ces dissensions intestines : les relations commerciales avec l’étranger, le nouvel impôt sur les vins, si impopulaire que M. Puigcerver, ministre de l’intérieur, le combattait résolument, le projet d’autonomie cubaine que le ministre des colonies tenait avec raison à voir triompher, les troubles anarchistes dans l’Andalousie, mais surtout la question des compagnies de chemin de fer qui était la plus urgente. Plusieurs ministres étaient favorables aux demandes formées par les compagnies en vue d’obtenir certaines augmentations de taxe et des prorogations de concessions ; les chemins de fer arriveraient ainsi à réduire leurs charges et pourraient faire face à une situation qui est due surtout en somme à la mauvaise gestion des finances de la monarchie.