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désarmé : il a poursuivi la campagne dans la presse. Un ingénieux illustré a représenté M. Spuller, déguisé en moine, « livrant la république à un jésuite » ; un autre organe, plus féroce, a insinué que déjà, sans doute, quelque séminariste « aiguisait son surin dans le silence et l’ombre des sacristies ». De plus tempérés ont parlé de « la revanche de Tartufe » sur les « judas gouvernementaux ». Quant aux doctrinaires de la « déchristianisation », — ils existent encore et s’en vantent, — ils ont modestement qualifié l’attitude du gouvernement d’ « amende honorable » et de « subordination de l’État à l’Église ».

De pareilles accusations font sourire lorsqu’elles s’adressent à des hommes politiques qui tous ont voté et fait voter les lois militaire et scolaire, acceptées aujourd’hui de plus ou moins bonne grâce par la presque unanimité du pays, mais après avoir suscité des discussions si longues, des protestations si vives de la part d’une minorité imposante, puisqu’elle fut, à certaines heures, représentée au parlement par plus de deux cents membres. Qu’il y ait eu, parmi les membres de cette minorité, des chrétiens assez tièdes, qui voyaient surtout dans les agissemens religieux des ministères passés une arme utile pour combattre la république au nom de l’église catholique, ce n’est pas là une hypothèse invraisemblable. Ce n’en est pas une moins probable de supposer qu’il y ait eu, parmi les républicains de la majorité, un assez grand nombre de députés qui s’acharnaient dans une campagne anti-cléricale, par ce motif inavoué qu’en frappant sur le catéchisme et sur le prêtre ils atteignaient des concurrens électoraux et des ennemis temporels. Ainsi envisagée, la politique religieuse des années passées est plus laïque qu’on ne le croit et qu’on ne l’a dit de part et d’autre.

Comme ces provinces dont leur favorable situation topographique a fait pendant longtemps les champs de bataille de l’Europe et qui, sans cesse désolées par la guerre, étaient les victimes les plus directes de toutes les opérations stratégiques, l’Église était un terrain, neutre par définition, sur lequel pourtant on se battait toujours. Ç’a été le grand mérite du pape actuel de comprendre que la protection de ses amis devenait aussi funeste au clergé français que les attaques de ses adversaires. Il a fait amener le drapeau qui flottait sur les clochers trop belliqueux et, au lieu de prêcher la croisade, il a envoyé des parlementaires. Cette conduite a rencontré des oppositions violentes ; elle froissait trop d’intérêts, à droite comme à gauche, pour qu’il en fût autrement. Les résultats ont été longs, assez minces au début et de nature à décourager un pontife moins tenace que Léon XIII. Tout conspirait contre lui ; ni dans un camp ni dans l’autre on ne voulait déposer les armes : la plupart des républicains se moquaient, en disant qu’on voulait les trahir, — les radicaux le disent encore ; — les conservateurs s’indignaient en disant qu’ils étaient trahis, — il en est parmi eux qui tout bas continuent à le répéter.