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partie par la presse en cette circonstance comme en plusieurs autres, avec peu de fondement, c’est un fonctionnaire de carrière, qui compte à son actif une trentaine d’années de services, tant au ministère de l’intérieur qu’à celui de l’instruction publique, et qui ne serait pas assez malavisé pour endosser, dans des questions de cette nature, une responsabilité personnelle avant d’avoir pris les instructions de ses supérieurs hiérarchiques. Mais si le conseil d’État a maintenu la partie rigoureusement, pharisaïquement légale, si l’on veut, de l’arrêté du maire de Saint-Denis, il a rejeté la seconde, notoirement illibérale et tyrannique, qui défendait l’exhibition d’emblèmes servant au culte. « Je partage, a dit M. Spuller, l’avis du conseil d’État ; » et, profitant de l’occasion qui lui était offerte d’affirmer sa manière de voir à ce sujet, le ministre ajouta : « Le gouvernement a marqué ainsi qu’il est temps de prouver qu’un grand principe doit dominer les affaires religieuses : le principe de la tolérance, en vue de mettre fin à d’absurdes querelles et d’apaiser tous les esprits. Le ministère s’inspirera, dans sa politique religieuse, de ce principe supérieur de tolérance et de liberté, qu’il appliquera dans un esprit nouveau. »

Ce dernier mot souleva des tempêtes ; M. Brisson se précipita à la tribune et, transformant la question en interpellation, demanda ce que l’on devait entendre par cet « esprit nouveau qui, à la différence des anciens gouvernemens, anime le ministère actuel. » M. Spuller, tout en se défendant d’être rallié à aucune communion religieuse, « pas même à la franc-maçonnerie », n’a pas hésité à dire que « la république ne devait pas souscrire aux mesures tracassières et vexatoires contre la liberté de conscience, qu’elle avait trop longtemps prêté le flanc à ces accusations. » Mais le parti avancé n’admet pas qu’à une situation nouvelle il faille une nouvelle politique. A ses yeux, « la république n’a été coupable que d’une grande faiblesse » ; elle n’a fait que répondre par la défensive à « une guerre sauvage » ; et M. Goblet, précisant les griefs de son collègue M. Brisson, disait au gouvernement : « Avouez donc le pacte avec l’église, avec le pape ! »

Prenant part à son tour à la discussion, le président du conseil reconnut que la république avait eu à lutter dans le passé et ne reniait rien de son œuvre ; mais que, victorieuse aujourd’hui, elle regardait comme indigne d’elle d’entreprendre une petite guerre de taquineries mesquines et devait se borner à faire respecter ses droits. M. Casimir-Perier a conclu, en véritable homme d’État, par ces mots : « Nous avons autre chose à faire qu’à animer les citoyens les uns contre les autres dans les querelles religieuses. »

Ce langage si simple, si sensé qu’on ne peut concevoir comment des gens de bonne foi soutiennent la thèse contraire, a recueilli l’adhésion de la grande majorité de la Chambre : 280 voix contre 159 ont assuré le ministère de leur confiance. Mais le parti vaincu n’a pas