Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comprendre. Le système du mélange des genres est l’un de ceux contre lesquels ils ont le plus souvent et le plus vivement protesté. Pour le combattre et pour montrer ce qu’il a de factice et de déconcertant, ils n’auront pas de meilleur argument que la pièce de M. Pailleron.

La Comédie-Française a monté Cabotins avec un grand soin et non d’ailleurs sans quelque fantaisie. La distribution des rôles réservait des surprises. On ne comprend guère qu’on ait confié un rôle mélancolique et mouillé de larmes à Mlle Marsy, dont le talent est plutôt exubérant. Elle y fait d’ailleurs de son mieux. Elle modère son jeu ; elle assourdit sa voix ; elle comprime ; elle éteint. Mlle Brandès est mieux partagée : elle est à sa place dans un rôle de violence et de passion. M. Got n’a eu qu’à se souvenir de Giboyer pour être un excellent Grigneux, et M. Leloir n’a eu qu’à se rappeler le poète du Monde où l’on s’ennuie pour être un pittoresque Laversée. M. Le Bargy est élégant, sec et mieux habillé que Brummel lui-même. M. Worms continue à assombrir tous ses rôles : Antony fut moins fatal et il était moins romantique que n’est le sculpteur Pierre Cardevent, suivant la glose de son interprète. Pégomas incarné par M. de Féraudy est toute la gaîté de la pièce. Le rôle n’exige ni composition, car il est sans nuances, ni profondeur ; car il est tout en surface. Mais il y fallait de la belle humeur, de la verve, de l’entrain, de l’emportement, du brio. De toutes ces qualités M. de Féraudy en a montré plus même que nous ne lui en soupçonnions. C’est pour lui un beau succès. Les autres rôles sont très convenablement tenus.


Si l’on voulait une preuve de la façon dont persistent au théâtre les procédés qui ont une fois réussi, la pièce que représente en ce moment et avec succès le Gymnase nous en donnerait une excellente. M. Auguste Germain est un jeune auteur, et presque un débutant au théâtre. Il raillait naguère ce qu’il appelait les recettes de la « cuisinière théâtrale ». Or de les si bien connaître cela lui a servi à les appliquer docilement. Famille est construite sur le modèle de la Famille Benoiton. Comme dans la pièce de M. Sardou, — et comme dans les revues de fin d’année, — nous voyons défiler une série de personnages destinés à incarner les ridicules ou les vices de la famille moderne : le père, honorable bourgeois qui entretient une actrice, un fils joueur effréné sous des dehors d’homme sage, une fille écervelée et qui se coiffe d’un ténor, et Fanfan qui, ayant grandi et s’étant fortifié les muscles dans tous les sports athlétiques, est devenu l’hercule vainqueur du lendit. Les scènes épisodiques se succèdent, à peine rattachées par un lien très lâche. L’action éclate tout d’un coup, imprévue et surprenante. Enfin la riche héritière épouse le « personnage sympathique ». Celui-ci n’est autre, suivant le type consacré, que le mauvais sujet qui a bon cœur… Je ne reproche