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la traduction qu’ils en donnent ; et dupe de sa propre littérature il aperçoit l’humanité à travers l’image qu’il en a lui-même tracée.

Aussi est-ce d’abord de précision et de netteté que manque le tableau ou l’esquisse de M. Pailleron. Il semble avoir hésité entre plusieurs sujets voisins sans doute, mais qui se nuisent par le voisinage. Des jeunes gens se groupent en association pour la courte échelle. Le journaliste recommande le médecin, qui place l’avocat ; celui-ci fait profiter de sa fortune et traîne après soi tous les compagnons des heures difficiles… Ce n’est pas le cabotinage cela, c’est la camaraderie. Or la camaraderie, quoique l’étude en ait tenté plus d’une fois les auteurs dramatiques, se prête mal à être mise à la scène. Les « camarades » réussissent trop bien, trop vite et par des moyens trop simples. On se dit que tout de même ce n’est pas si commode que ça. Chaque fois que Pégomas accouche d’une invention nouvelle, ils sont là tous à s’extasier : « Ah ! ce Pégo ! est-il assez malin ! Il n’y a que lui ! » Mais le machiavélisme de la combinaison nous échappe. Et nous admirons moins la rouerie de cet habile homme que l’ingénuité avec laquelle il se propose de conquérir le monde par des ruses enfantines. — M. Pailleron confond encore le cabotinage avec la hâblerie méridionale. Tous ses cabotins sont de la Provence ; comme si tous les farceurs étaient d’en deçà de la Loire ! On réclame pour les pays du Nord. Surtout on se demande à qui en a l’auteur. A-t-il voulu faire le procès à une société, ou n’a-t-il voulu que refaire celui d’un climat ? On nous a montré tant de fois déjà quels sont sur les imaginations les effets d’un soleil trop ardent ! — Quels sont enfin les types dans lesquels M. Pailleron a incarné le cabotinage ? Au premier rang et menant le chœur, Pégomas, l’aspirant député. Il a la langue bien pendue, le mensonge facile et l’improvisation chaleureuse ; il inaugure des statues, rédige des programmes qui ressemblent à des prospectus et se répand en promesses qu’il ne tiendra pas. En vérité que ferait-il de moins s’il n’était pas cabotin ? Pégomas est politicien ; il fait son métier. Exige-t-on d’un orateur de réunion publique qu’il soit ennemi de la réclame et jaloux uniquement de sa dignité et de son repos ? Le peintre Caracel s’est institué chef d’école ; il préside au groupe des « à-partistes ». Nous avons eu nos indépendans et nos incohérens, nos impressionnistes, nos luministes et nos tachistes : le seul succès que leur aient valu leurs excentricités, ç’a été un succès de ridicule. Pourquoi donc s’en être tenu aux éclopés du cabotinage ? Et était-il si difficile de trouver des cabotins parmi les grands premiers rôles de la littérature et des arts ? Hugon le membre de l’Institut qui flatte les jeunes et se fait « lâche, de peur d’être lâché » ; l’écrivain Lavrejol qui de naturaliste se fait mystique ; Saint-Marin, le médecin pour dames, ce ne sont qu’autant de comparses. D’autres nous sont donnés pour cabotins dont nous n’apercevons pas en quoi consiste