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toujours été incapable de faire de la physiologie expérimentale ; la moindre opération, même sur les animaux, lui causait une répugnance invincible : il ne pouvait pas supporter les gémissemens.

Charcot avait assez de célébrité et de puissance pour avoir droit à des ennemis. Ils ne lui manquèrent pas ; il n’en souffrait guère que quand ils sortaient de son école. Il méritait bien des ennemis combattant face à face ; mais il en a eu d’autres. Pendant de longues années, un malfaiteur qui n’était pas ignorant des choses médicales l’a poursuivi de lettres anonymes lui annonçant sa fin prochaine. Ce criminel, par bonheur, ne connaissait rien à la maladie de Charcot, mais il réussissait à l’irriter et à inquiéter sa famille.

Si Charcot a pu mériter des inimitiés comme chef d’école, il n’en méritait pas comme homme privé : il a conservé jusqu’à son dernier jour des amis de jeunesse qui tenaient la première place dans son affection. La plupart de ses élèves étaient restés ses amis, et ceux qui l’avaient quitté pour aller bâtir ailleurs lui étaient encore attachés par une sympathie profonde.

Charcot avait le culte du foyer où il avait toutes ses joies. Le plus grand malheur qu’il pût craindre pour lui et pour les siens, c’était d’en être éloigné à sa dernière heure.

La Salpêtrière, son autre maison, l’a reçu au retour du funèbre voyage et lui a fait des funérailles dignes de lui. Ses collègues, ses élèves, ses malades sont venus lui rendre un dernier hommage dans cet asile où, pendant plus de trente années, il a servi la cause du progrès. Ceux mêmes qui passaient pour ses ennemis ont tenu à honneur de lui apporter leur témoignage de respect. C’est que le respect s’impose à ceux qui connaissent l’œuvre de Charcot. Si nous considérons cette œuvre dans son ensemble, nous n’y trouvons pas de ces découvertes qui changent brusquement la direction de la science, ni une méthode qui lui ouvre une voie nouvelle. Charcot n’avait pas à créer la neurologie ; mais, en suivant la méthode anatomo-clinique que Laënnec avait appliquée avec tant de succès à une autre branche de la pathologie, il l’a éclairée d’un jour nouveau, et il a su la rendre accessible. L’école de la Salpêtrière et son enseignement ont été constitués de toutes pièces par son initiative et sa persévérance. Il laisse une institution unique dans son genre. Charcot a été un des maîtres les plus utiles à la science médicale.

Ch. Féré.