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catholiques et les calvinistes de la fraction dont on exprime les tendances en la qualifiant d’aristocratique. Entre les deux, telle ou telle personnalité qui cherche des transactions et combine des systèmes. Les uns, comme le ministère et comme M. Kerdijk, M. Kuyper, M. Schaepman, veulent un suffrage quasi universel, la plus large extension du droit de suffrage compatible avec le texte de la constitution ; les autres veulent une extension moins large ; quelques-uns même préféreraient que l’on n’accordât aucune extension. Les uns ne veulent plus du cens, les autres veulent maintenir un cens très minime, d’autres un cens moins modéré, quelques-uns aimeraient mieux conserver le taux actuel qui leur semble déjà trop bas. Le fait qui domine tout et qu’il faut retenir, c’est que le groupement ne s’opère pas sur le terrain politique, puisque le ministère sera, en ce point, abandonné par certains de ses amis et soutenu par certains de ses adversaires, puisque la loi a pour elle et contre elle une partie des libéraux, une partie des catholiques, une partie des anti-révolutionnaires. Non, le groupement s’opère sur le terrain social et c’est là un fait qui dépasse de beaucoup la portée d’un fait local, qui est caractéristique, non d’un seul pays, mais de tout ce temps.

Lorsque la seconde République introduisit en France le suffrage universel, elle cédait à des considérations abstraites, théoriques, inspirées des maximes de la Révolution et, par elles, de la philosophie du XVIIIe siècle. Il serait à peine exagéré de dire qu’elle faisait de la sentimentalité politique. Mais, dans les cinquante ans qui nous séparent de 1848, le quatrième État est entré en scène ; il est devenu un parti politique, qui ne se paye plus de sentimentalité. Le socialisme est né, il a grandi. Il s’est fixé à lui-même son but et, notamment dans les vingt dernières années, il s’est mis en quête des moyens de l’atteindre. Le but, c’est de refondre la société sur un plan tout nouveau et le premier des moyens, c’est de s’emparer de l’État, car on tâchera d’abord de procéder légalement et la violence ne doit venir que par surcroît, si les procédés légaux font faillite. Pour s’emparer de l’État, il suffit du bulletin de vote, mais il le faut. C’est en pleine conscience des moyens et du but que les socialistes font à présent du droit de suffrage l’article essentiel et comme Taxe de la moderne déclaration des Droits de l’Homme. Ainsi, ce n’est pas le pouvoir politique qui est visé ou bien il n’est pas visé pour lui-même, non pas comme but, mais comme moyen, en vue d’une transformation de la société tout entière. Nul ne saurait plus s’y méprendre et c’est ce qui explique pourquoi les partisans et les adversaires de l’extension du droit de suffrage se groupent aux Pays-Bas et ailleurs,