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révolutionnaires. Comme calvinistes, nous sommes des hommes d’ordre et de progrès. Il est de l’essence de notre foi, qui s’appuie sur le libre examen des textes, de développer l’indépendance individuelle, de donner plus de trompe à l’esprit et plus de ressort au caractère. Mais il y a, au-dessus de toutes les discussions, des choses auxquelles il ne faut pas laisser porter atteinte. C’est pour que l’on n’y touche pas que nous nous sommes alliés avec les catholiques qui ne sont pas, d’ailleurs, en Hollande, les mêmes que dans les pays où le protestantisme n’a point, à un égal degré, passé dans le sang et fait ou refait le milieu. »

Ainsi parlait le docteur Kuyper, en 1890, lorsque, par l’union de tous les catholiques et de tous les anti-révolutionnaires, la droite détenait le pouvoir. Et voici ce qu’a fait, avec rien, un obscur pasteur de village. Il a fait surgir de la terre une université d’enseignement supérieur, un gymnase d’enseignement secondaire, cinq grandes écoles primaires à Amsterdam (avec plus de 600 élèves), près de 400 écoles dans le royaume, un Patrimonium ou cercle ouvrier qui compte 12 000 membres, une armée de 300 000 à 400 000 disciples. Il a ressuscité une église, l’église calviniste, organisé un parti ; c’est son Église même qu’il a organisée en parti dont il a tout au long rédigé le programme[1] ; il a inventé une politique, et il lui a donné pour âme une théologie.

Plus sûrement et plus profondément que personne, il a saisi cette vérité que la théologie a, dans les Pays-Bas, gardé son empire sur les esprits, que les Provinces-Unies sont toujours le foyer des saintes querelles entre les gomaristes et les arminiens, que le groupement des partis s’opère à la fois en raison des intérêts temporels et en raison des confessions religieuses. Il s’est tourné vers la gauche et, s’il y a vu quelques positivistes dédaigneux des simples qui croient, il y a vu surtout des protestans imbus de rationalisme, des protestans frottés de rationalisme et des protestans presque piétistes.

À l’extrême gauche, il a vu les socialistes, avec leur tribun M. Domela Nieuwenhuis, et il s’est aperçu que ce tribun était un prédicant, un ancien pasteur qui ne faisait guère que de revêtir de socialisme l’instinct théologique indestructible, transmis par les générations, hérité des ancêtres. Il est allé tenter une expérience dans la Frise où ce socialisme a, paraît-il, pris racine sous la forme agraire et il a remarqué que le socialisme repoussait comme une jeune greffe sur la vieille souche anabaptiste ; partout où il n’y avait point de vestiges de l’anabaptisme, M. Kuyper

  1. Ons Program, par le Dr A. Kuypi-r, Amstprdam, J.-H. Kruyt, 2e éd., 1880. 1 vol. in-8o.