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En combattant au premier rang à la bataille de Rheinfeld, il fut criblé de blessures, auxquelles il succomba quelques jours après. La France avait perdu la Valteline et son meilleur général.

Chose curieuse, le Père Joseph n’avait pas autant de préventions contre d’autres protestans non moins décidés. Il fut le protecteur et presque l’ami de ce même Bernard de Saxe-Weimar auprès duquel nous venons de voir Henri de Rohan chercher un abri. Il est vrai que ce luthérien farouche avait auprès du capucin un avocat habile et puissant. Manassés de Pas, marquis de Feuquières, homme de guerre médiocre, mais diplomate de premier ordre, cousin germain du Père Joseph et l’un de ses plus intimes protégés, avait été chargé, comme nous l’avons vu, après la mort de Gustave-Adolphe, de négocier avec les confédérés protestans réunis à Heilbronn, puis à Francfort. Au cours de cette mission, il fit la connaissance de Bernard de Saxe-Weimar. Par la suite, il se lia plus intimement avec lui en prenant part à une expédition envoyée au secours de Mayence sous la conduite du cardinal de La Valette et du prince saxon. L’entreprise, après de brillans débuts, se termina par une retraite malheureuse, mais fit grand honneur aux qualités militaires de Bernard de Saxe-Weimar. Feuquières, qui servait comme maréchal de camp auprès du prince, ne le quittait pour ainsi dire pas. Le jour on se battait, le soir on négociait. Il s’agissait de préparer le traité qui devait mettre Bernard et son armée au service du roi de France. Les difficultés étaient grandes : Feuquières en triompha grâce au crédit du Père Joseph. Jusqu’à la fin, Feuquières resta l’intermédiaire officieux entre le gouvernement français et Bernard de Saxe-Weimar pour aplanir les contestations et les difficultés que soulevait l’exécution du traité. Grâce ; à lui et au capucin, Weimar obtint les moyens d’action qui furent refusés à Rohan, des hommes, de l’argent.

La confiance que Richelieu et le Père Joseph accordaient au prince saxon était d’ailleurs une confiance limitée, comme il convenait à deux admirateurs de Machiavel. Le cardinal ne cessait pas de faire espionner Bernard, tout en le comblant de politesses et de complimens. Il le suspecta jusqu’au dernier jour de ne pas servir la France avec une entière fidélité, bien qu’il eût repoussé plusieurs fois les offres séduisantes qui lui étaient faites par l’empereur d’Allemagne, et qu’il eût mis entre les mains du gouvernement français des documens ne laissant aucun doute à cet égard. Le Père Joseph, dans la circonstance, parait avoir été moins soupçonneux que son chef. Le jugement qu’il portait sur Bernard mérite d’être cité. Voici ce qu’il écrivait à Feuquières : « Vous