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L’ÉMINENCE GRISE





LE PÈRE JOSEPH, D’APRÈS UN LIVRE NOUVEAU[1]






Le Père Joseph est plutôt célèbre que connu. Sa figure, bien que souvent retracée par l’histoire, l’art et le roman, garde un caractère énigmatique et mystérieux. On sait bien que ce capucin a été le grand confident du cardinal de Richelieu et qu’il a joui, sous le tout-puissant ministre, d’un crédit sans égal ; on le voit bien, tel qu’il est peint dans le tableau fameux de Gérome, enveloppé de son froc et salué chapeau bas par les plus fiers courtisans ; mais par quelle nature de services, par quel genre de supériorité a-t-il conquis et gardé cette haute faveur ? Tout d’abord il faut écarter la légende qui fait de lui l’exécuteur des vengeances et des sévérités de Richelieu. D’autres ont joué ce rôle : Châteauneuf, Séguier, Laubardemont, Laffemas. Sans doute les capucins ont été les ennemis d’Urbain Grandier et ont poussé à sa condamnation ; mais aucun document contemporain ne montre le Père Joseph personnellement mêlé au drame judiciaire de Loudun. Encore moins a-t-il pu concourir à la condamnation de Cinq-Mars : il était mort depuis plus de trois ans lorsque le grand-écuyer se jeta dans la conspiration qui devait lui coûter la vie.

Dans le petit groupe des collaborateurs intimes de Richelieu, le Père Joseph occupe une place nettement déterminée : il est l’homme de confiance du cardinal pour les affaires étrangères, quelque chose comme Hugues de Lionne auprès de Mazarin, avec un degré supérieur d’intimité, que peut seule expliquer

  1. Le Père Joseph et Richelieu, par Gustave Fagniez. — 2 vol. in-8o. Paris, Hachette, 1894.