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Il tomba malade de chagrin. Renonçant à chercher une autre compagne, il fit venir sa sœur Ursule pour tenir désormais sa maison et prendre soin de ses enfans.

Ceux-ci doivent être présentés au lecteur. L’aîné, Pomponio, était destiné à l’état ecclésiastique ; aussi son père s’occupa de bonne heure de lui procurer un canonicat ; il y réussit au prix des plus grands efforts, car Pomponio était un fort mauvais sujet ; sans cesse il fallait le morigéner, tâche dont se chargeait volontiers l’Arétin, transformé pour la circonstance en moraliste et pédagogue. Ce fils indigne, après avoir gaspillé l’héritage paternel, mourut misérablement quelques années après son père.

Le second fils, Orazio, doit sa célébrité au sonnet d’Alfred de Musset plutôt qu’à ses peintures. Né en 1515, enlevé par la peste à l’âge de soixante et un ans, en même temps que son père, il n’eut d’autre ambition que de travailler sous les ordres et aux côtés d’un tel initiateur. On cite de lui quelques portraits, entre autres celui du Joueur de viole Battista Siciliano. Malgré la douceur de son caractère, Orazio faillit être victime d’un attentat, dont les mobiles ne sont pas encore expliqués. Il habitait, à Milan, le palais de Leone Leoni d’Arezzo, le sculpteur fameux et le non moins fameux spadassin, lorsque celui-ci l’attaqua à l’improviste, sans prétexte plausible, et le blessa dangereusement à la tête d’un coup de poignard. Le Titien, qui montrait dans toutes ses actions la ténacité du montagnard, obtint à force de démarches que l’assassin de son fils fût banni.

La favorite du Titien était sa fille, Lavinia. Non content de reproduire à tout instant ses traits (musées de Dresde, de Berlin, etc.), il la garda auprès de lui le plus qu’il put, en père à la fois tendre et jaloux. Elle comptait environ vingt-six ans quand il se décida enfin à la marier, en 1555, à un gentilhomme de Seravolle. La dot qu’il lui donna (2400 ducats, environ 120000 fr. de notre monnaie) était probablement la plus riche qu’une fille d’artiste eût reçue jusque-là. Le maître eut la douleur de survivre à sa fille bien-aimée : Lavinia mourut en 1561 ou 1562, après avoir mis au jour six enfans.

Rappelons, avant d’aller plus loin, que l’amour de la peinture était héréditaire dans cette famille. Outre le Titien et son fils, Marco Vecellio (1545-1611), Cesare Vecellio, le dessinateur du célèbre recueil de costumes, Habiti antichi et moderni di tutto il Mondo (Venise, 1589), Fabrizio Vecellio, Tommaso Vecellio (né vers 1570), et surtout le Tizianello (né en 1570, mort vers 1650) se sont acquis une notoriété plus ou moins grande.