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les prodiges de l’exécution reçoivent une consécration de plus de toutes les ardeurs, de tous les trésors que recelait son âme si vibrante, si généreuse, si profondément humaine[1].

Tiziano (diminutif de Tizio ou Titius) Vecelli naquit, en 1477, à Pieve di Cadore, petit bourg situé presque à l’extrémité septentrionale de la Vénétie, dans un paysage montueux, âpre et grandiose, encore relevé par des rochers de dolomite, semblables à d’immenses stalactites. Ces parages servaient d’asile à une population plus rude que raffinée ; en 1508, au moment même où le Titien remportait ses premiers succès, elle se signala par sa vaillante résistance aux armées de l’empereur Maximilien. Semblable en ceci à ses émules Giorgione et Paul Véronèse ainsi qu’à tant d’autres représentans de l’Ecole vénitienne, le Titien était donc originaire, non de Venise même, mais d’un des nombreux territoires que la République possédait sur la terre ferme. Son père, Gregorio Vecelli, appartenait à une famille honorable de Cadore : il se distingua tour à tour comme administrateur, comme jurisconsulte et comme soldat. De ses quatre enfans, — deux garçons et deux filles, — le Titien fut le second ; le frère aîné, François, devint, comme le puîné, peintre. Les deux enfans passèrent leurs premières années au milieu des paysans et des bûcherons : il fallut que leur vocation fût bien énergique pour que leur famille consentît si facilement à la favoriser.

Le Titien avait environ dix ans lorsque son père l’envoya avec son frère à Venise chez leur oncle. On ignore quels furent les débuts des deux jeunes Cadorins. Il semble qu’ils fréquentèrent d’abord râtelier d’un mosaïste, puis celui des deux frères Bellin. Quant à leurs rapports avec Giorgione, il suffit de rappeler que le Titien, aussi âgé que lui, fut son imitateur plutôt que son élève.

Jusque vers l’âge de trente ans, le jeune artiste de Cadore fit peu parler de lui : on sait si le temps ainsi perdu fut regagné dans la seconde partie de cette existence qui fut la plus longue du siècle. La lenteur de son développement jure avec la précocité de la grande majorité de ses contemporains, et tout d’abord avec celle de Giorgione qui parut et passa comme un météore. Raphaël également, sans avoir été l’enfant prodige que l’on s’est plu à mettre en scène, ne comptait que vingt-six ans lorsqu’il peignit la Dispute du Saint Sacrement. Michel-Ange était plus jeune encore lorsqu’il sculpta la Pietà de Saint-Pierre de Rome et le

  1. Il est à peine nécessaire de rappeler ici les belles monographies qu’ont consacrées au Titien, dans les dernières années, MM. Crowe et Cavalcaselle d’une part, M. Georges Lafenestre, de l’autre.