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insinuations à l’adresse de Joséphine. Ne redoutez-vous pas de paraître, dans une certaine mesure, complice de la mauvaise action commise par l’auteur, si vous portez à la connaissance du public ce que Barras donne trop clairement à entendre sur la nature de son intimité avec Mme de Beauharnais ?

Je me contente de renvoyer au supplément de la Biographie Michaud[1] et aux Papiers et Correspondances de la Famille impériale[2], les personnes à qui je pourrais avoir le malheur de déplaire en livrant à la publicité les méchans propos de l’ex-membre du Directoire sur celle qui fut l’Impératrice des Français. Il suffira de jeter les yeux sur cet article de la Biographie et sur les deux lettres de Joséphine à Barras, publiées par la commission qui accepta la tâche de fouiller, après le 4 septembre 1870, dans les papiers de l’empereur Napoléon III, pour se convaincre que les Mémoires de Barras, quelles que soient les insinuations qu’ils contiennent, n’apprennent rien sur ce point qui ne soit depuis longtemps divulgué. Il serait donc tout à la fois injuste et absurde de prétendre que j’aie manqué, en les publiant, à la réserve et aux égards qu’un galant homme doit même à la mémoire d’une femme, — surtout bonne et charmante comme le fut celle-là. J’aurais reculé, sans doute, devant la révélation des faiblesses auxquelles il est malheureusement trop certain que Joséphine s’est laissé entraîner, avant qu’un sentiment profond, — et qui probablement était nouveau pour elle, — l’eût purifiée de ces « vices du temps », et fait de la veuve trop vite consolée d’Alexandre de Beauharnais l’irréprochable épouse du premier consul et de l’empereur. Mais le fait que la coquette et frivole amie de Mme Tallien n’ait pu traverser sans y laisser quelque chose de sa bonne renommée une époque telle que celle du directoire, où la moralité publique était tombée si bas, et où la vertu des femmes était inévitablement exposée aux atteintes de l’universelle corruption, — ce fait, qu’on le veuille ou non, appartient au domaine public de l’histoire.

Est-ce donc à Joséphine que les indiscrétions, les lâches médisances de Barras feront du tort ? Hélas ! nous le savions déjà, qu’elle fut faible, et, s’il faut tout dire, nous le lui avons depuis longtemps pardonné, tant sa grâce, tant sa divine bonté, tant son abnégation à l’heure tragique du divorce ont éloquemment plaidé sa cause auprès de nous ! Mais ce que nous ignorions peut-être, c’est que les beaux dehors de gentilhommerie dont

  1. Tome 69, article Joséphine, page 225 et suivantes.
  2. Papiers et correspondances de la Famille impériale. Paris, 1872, chez Beauvais, tome II, p. 1 et 2.