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mettre en ordre les pièces qu’il avait entre les mains, à les coordonner, à les mettre en rapport les unes avec les autres, et commença même un projet de rédaction qui devait faciliter les mémoires qu’il devait produire… Déjà ses notes étaient en partie rassemblées : restait à faire de ces notes un corps d’histoire, à faire la narration des faits, à en faire découler les réflexions qui doivent amener la justification pour laquelle ces Mémoires étaient projetés[1]. Restait à mettre en scène les divers personnages qui devaient paraître, à tout animer, à donner enfin à ces notes le style convenable. Barras par suite de son âge, du mauvais état de sa santé, que les tourmens politiques et les chagrins avaient altérée, peu habitué ensuite à écrire, à mettre en pratique les règles de la rhétorique, que les plus sérieuses occupations pouvaient bien lui avoir fait oublier, songea à charger des amis, auxquels il crut devoir confier sans crainte ses plus chers intérêts, de cette rédaction qu’il avait facilitée par son travail et ses notes… »

Dans une autre pièce relative à la même affaire, M. Paul Grand disait encore :

« Barras écrivit lui-même un grand nombre de notes sur les principaux passages des mémoires projetés, afin que, si le temps ne lui permettait pas d’y mettre la dernière main, d’en faire un corps d’ouvrage complet, il put en confier à un ami l’achèvement et la rédaction dernière. »

La même idée se trouve exprimée d’une façon plus affirmative et plus claire encore dans une assignation adressée par M. Paul Grand à M. R. de Saint-Albin : «… Les Mémoires de Barras avaient été déjà rédigés par lui-même de son vivant ; le travail ne consistait plus que dans une classification, une mise en ordre des manuscrits de Barras et des pièces à l’appui… »

J’ai eu, en 1885, l’occasion de voir M. Paul Grand et de m’entretenir avec lui. C’était à cette époque un vieillard de quatre-vingts ans à peu près, dont l’âge n’avait nullement affaibli les

  1. Dans une sorte de manifeste daté du 20 juin 1819 et portant pour titre : « Le général Barras à ses concitoyens, » l’ancien membre du directoire annonçait en ces termes l’intention de composer ses Mémoires :
    « Il vient de paraître, sous le nom de Souvenirs et anecdotes secrètes, un ouvrage contre lequel je suis forcé de réclamer publiquement… Peut-être un jour, si ma santé affaiblie par tant de vicissitudes m’en laisse la faculté… peut-être essaierai-je de rendre à mes concitoyens le compte moral que leur doivent les hommes qui ont manié les affaires de l’État dans des temps bien difficiles ; mais avant de publier mes Mémoires, je n’ai pas dû retarder à donner un désaveu nécessaire pour établir la vérité la plus importante… »
    Ce manifeste imprimé (quatre pages d’impression) fait partie, comme tous les documens dont j’invoquerai le témoignage sans indication particulière de provenance, des papiers laissés par M. Rousselin de Saint-Albin. Il a été publié dans plusieurs journaux de l’époque.