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réclamer de nouvelles. A mesure que le mal se propage, le souci des remèdes à y apporter hante les esprits les plus dédaigneux à l’origine, ceux des Anglais par exemple, qui ont longtemps affecté de traiter ces cas par le mépris, et que l’explosion d’une bombe, au pied de l’Observatoire de Greenwich, commence à faire réfléchir.

Ces petites tribus meurtrières, nées dans notre sein, formées du même sang que nous, méritent par l’essence particulière de leur barbarie acquise la qualification de sauvages que nous réservons d’habitude aux peuplades du centre de l’Afrique, contre lesquelles de temps à autre nous mobilisons quelques troupes. Avec les premières, nous ne pouvons pas nous flatter de jamais signer la paix ; nous finissons toujours par la faire avec les secondes. Telle sera en effet l’issue de la lutte que la France a dû entreprendre contre les Touaregs voisins de Tombouctou, lorsqu’elle aura vengé la défaite et la mort du lieutenant-colonel Bonnier, qui s’était, un peu vite et imprudemment peut-être, emparé de la vieille capitale du désert.

On avait accueilli avec satisfaction la nomination d’un gouverneur civil au Soudan, par ce simple motif que la direction de M. Grodet, substituée au commandement du glorieux colonel Archinard, marquerait la ferme intention du gouvernement de clore l’ère des conquêtes. Chaque colonne coûte plus d’un million, et on pensait avec raison que les budgets sans cesse grossissans de notre colonie africaine gagneraient d’être réduits enfin à des proportions normales. Il était en outre grand temps de songer à l’organisation de territoires allant chaque jour se dépeuplant. Un officier qui a longtemps expéditionné dans ces parages, interrogé sur l’état de la population, répondait dans la familiarité d’une conversation privée : « Nous avons trouvé le désert et nous l’avons complété. » C’est à la paix et au commerce de réparer les désastres inséparables de la guerre.

Lorsque le gouverneur civil du Soudan y arriva vers la fin de décembre, son premier soin fut de donner l’ordre d’arrêter les colonnes en marche qui étaient parties quelques jours auparavant pour des destinations inconnues. Le sous-secrétariat des colonies lui prescrivit de n’engager aucune expédition militaire sans son autorisation, sauf le cas où l’on se verrait dans la nécessité de repousser une attaque. Sur ces entrefaites on apprit à Paris l’entrée du colonel Bonnier à Tombouctou. Il avait vaincu sans ordres, mais enfin il avait vaincu, et l’on devait lui faire crédit de quelque indulgence. La puissance de Tombouctou est aujourd’hui quelque peu déchue, mais, comme centre religieux, la ville demeure l’une des plus importantes du Soudan. Son nom soûl avait gardé un tel prestige en Afrique et même en dehors de l’Afrique, que la nouvelle de ce fait d’armes devait produire un sérieux effet moral.

C’est ainsi qu’il fut envisagé à Londres et à Berlin comme l’événement le plus considérable qui ait eu lieu dans le partage du continent