Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Reims, 12 septembre. — Hier, à dîner, les officiers du prince Albert qui venaient de Sedan ont parlé de la masse des prisonniers. Le ministre de la Guerre a eu à ce propos un mot un peu malheureux, disant qu’il ne savait pas où il mettrait tous ces prisonniers ; à quoi Moltke a répondu en souriant qu’il lui en fournirait pourtant encore beaucoup d’autres à caser. Il n’y a pas encore à s’inquiéter des conditions de la paix. Bismarck se chargera de la chose quand il sera temps. Vous pouvez seulement être sûrs que, si nous tenons Metz, nous ne le rendrons pas. En attendant on a déjà nommé deux directeurs, un pour l’Alsace et l’autre pour la Lorraine.

« Reims, 14 septembre. — C’est désormais un projet bien arrêté : on séparera de la France l’Alsace et la Lorraine allemande. La question difficile est seulement de savoir à qui l’on donnera ces provinces, car enfin elles auront été conquises par l’effort réuni de toute l’Allemagne. Impossible de songer à un morcellement. L’annexion à la Prusse raviverait aussitôt la jalousie de l’Autriche et de la Russie. On a soulevé l’idée de faire de l’Alsace et de la Lorraine un pays séparé, appartenant à l’Allemagne entière et dont le roi de Prusse serait le chef militaire. Mais ce sont encore des choses sur lesquelles il faut garder une discrétion absolue.

« Meaux, 15 septembre. — Dans le château du sénateur Larabit, à Luzancy, en l’absence du propriétaire, nous avons pris un copieux goûter. Il y avait dans la bibliothèque une grande carte de la France ; Bismarck a pris une plume et a rectifié les frontières du pays, en traçant un gros trait de Mézières à Bâle.

« Lagny, 16 septembre. — Hier, en allant chez le roi, qui est logé à Ferrières, dans le château des Rothschild, nous avons rencontré une calèche où étaient quatre personnes, entre elles un officier prussien. Mon compagnon, le conseiller aulique Taglioni, me dit qu’il avait reconnu dans cette calèche Jules Favre et M. de Gontaut-Biron : je m’empressai d’en avertir Bismarck, qui marchait seul, à cheval, en avant de nous. Bismarck parut enchanté de la rencontre. Il nous dit que, si Jules Favre était entré au quartier général, il ne l’en aurait plus laissé sortir.

« Lagny, 24 septembre. — Hier à Ferrières, le roi a reçu la visite de son fils. Voici une histoire bien drôle qu’on m’a racontée : après la bataille de Wœrth, comme le Kronprinz parlait à un soldat bavarois blessé, celui-ci lui a dit : « Ah ! prince, si nous vous avions eu à notre « tête en 1866, nous aurions bien battu ces maudits Prussiens ! »

« Versailles, 19 octobre. — Hier, nous avons célébré en grande pompe la fête du Kronprinz. A 3 trois heures, nous avons eu les grandes eaux, malheureusement moins réussies que l’autre jour. Il y avait beaucoup de dames, venues pour voir : elles étaient vêtues de noir. Le soir, à la préfecture, un brillant dîner de 75 couverts. Vendredi prochain, entrevue des ministres de Bavière, de Wurtemberg et de Bade, pour